Les éclipses anciennes


Introduction

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Cette section traite des éclipses anciennes de Soleil et explique comment on utilise ces éclipses pour déterminer le ralentissement de la révolution terrestre. Nous donnons un historique des prédictions des éclipses anciennes et nous donnons les possibilités des prédictions au fur et à mesure que les connaissances de l'orbite lunaire et de la cartographie évoluent. Ces propos sont illustrés par les cartes des lignes de visibilité des éclipses anciennes calculées avec les théories actuelles.


Le ralentissement de la Terre

Aussitôt que les astronomes eurent à leur disposition des théories de la Lune et du Soleil suffisamment précises, ils essayèrent de calculer et de tracer les zones de visibilité des éclipses anciennes décrites dans les textes antiques. Ils trouvèrent bien les éclipses de Soleil aux bonnes dates, mais ils s'aperçurent que les zones de visibilité qu'ils calculaient ne correspondaient pas aux zones d'observation des l'éclipses. E. Halley en 1693, puis R. Dunthorne en 1749, avancèrent l'idée que la Lune n'était pas à sa bonne position. Pour rendre cohérents les calculs d'éclipses et les observations on introduisit une accélération séculaire dans la théorie de la longitude de la Lune. Par la suite les mécaniciens célestes essayèrent de trouver une explication théorique à ce phénomène. Mais ils trouvèrent des explications théoriques qui n'expliquaient qu'en partie la valeur de cette accélération. En 1866, W. Ferrel et Delaunay vont émettre l'hypothèse d'un ralentissement de la rotation terrestre sous l'effet des marées océaniques, ce ralentissement contrebalancerait l'accélération qui apparaît dans l'observation du mouvement de la Lune. Ce ralentissement fut mis en évidence par Spencer Jones en 1926 et 1939, mais il faudra attendre la deuxième moitié du XXe siècle pour que l'on considère le phénomène réciproque, à savoir, l'influence des marées océaniques sur l'orbite lunaire et que l'on définisse complètement le problème. En réalité, l'accélération séculaire observée dans le mouvement de la Lune est la combinaison de trois termes : une accélération séculaire gravitationnelle due aux perturbations planétaires, une accélération séculaire due aux marées océaniques et une accélération séculaire fictive due au ralentissement de la rotation terrestre. Cette dernière accélération disparaît lorsqu'on utilise une échelle de temps uniforme (non liée à la rotation de la Terre). L'accélération séculaire gravitationnelle se calcule à partir des perturbations planétaires, l'accélération séculaire due aux marées océaniques se calcule à partir des mesures lasers des distances Terre-Lune. Le ralentissement de la rotation terrestre se calcule grâce aux éclipses anciennes.


Les échelles de temps

La rotation de la Terre autour de son axe a été longtemps considérée comme uniforme et a fourni une échelle de temps unique, le Temps universel (UT ou TU). La mise en évidence du ralentissement de la rotation terrestre par Spencer Jones a rendu nécessaire l'introduction à partir de 1960 d'une nouvelle échelle de temps, le Temps des éphémérides (TE). Cette échelle de temps est fonction de la révolution de la Terre autour du Soleil, cette révolution est très stable et elle fournit une meilleure réalisation d'un temps uniforme. Depuis 1967, cette échelle de temps a été remplacée par une échelle encore plus stable le Temps atomique international (TAI). Le temps civil actuel est encore basé sur la rotation de la Terre, il porte le nom de Temps universel coordonné (UTC) et n'est donc pas un temps uniforme.


L'usage des éclipses anciennes

Les théories des corps du système solaire, utilisent comme argument du temps, une échelle de temps uniforme liée au Temps atomique international appelée Temps Terrestre (TT). Pour connaître la portion du globe terrestre concerné par une éclipse, il faut connaître l'écart entre cette échelle de temps (TT) et l'échelle de temps non uniforme liée à la rotation de la Terre, le Temps universel (TU). Inversement lors d'une éclipse ancienne, l'écart entre la zone de visibilité calculée avec le Temps terrestre uniforme et les lieux d'observations effectifs de l'éclipse nous donne une approximation de l'écart (TT-TU) entre les deux échelles de temps. Un travail très important, portant sur de très nombreuses éclipses de Lune et de Soleil allant de l'an 763 avant J.-C. jusqu'à nos jours a été réalisé par Richard Stephenson et a permis de modéliser, pour le passé, les écarts entre le Temps Terrestre et le Temps universel.


Les sources anciennes

Les éclipses anciennes, de Lune et de Soleil, proviennent de quatre sources principales : les Babyloniens de 700 avant J.-C. à 50 avant J.-C., les Chinois de 700 avant J.-C. à 1500 après J.-C., les Européens de 500 avant J.-C. à 1 600 après J.-C. et les Arabes de 800 après J.-C. à 1 300 après J.-C. Certaines sources, bien que remontant très loin dans le temps, n'ont été connues que très récemment. C'est le cas notamment des sources babyloniennes et assyriennes que l'on ne sait déchiffrer que depuis le milieu du XIXe siècle.

Un des premiers astronomes à répertorier les éclipses anciennes fut Claude Ptolémée (milieu du IIe siècle), à cette occasion il créa une chronologie, l'ère de Nabonassar (le vrai nom est Nabu-nasir) qui débute en l'an 747 avant J.-C. et qui utilise l'année vague égyptienne de 365 jours. Ptolémée cite dans l'Almageste 10 éclipses de Lune observées par les Babyloniens et aucune éclipse de Soleil, les plus vieilles éclipses de Lune datant de 721 et 720 avant J.-C. Toutes les autres éclipses de Soleil et de Lune observées par les Babyloniens ou les Assyriens proviennent de tablettes écrites en caractères cunéiformes.


Les sources anciennes-2

La datation exacte de ces éclipses anciennes n'était pas une chose facile à réaliser avant que l'on ne connaisse le ralentissement de la rotation terrestre. En effet pour les dates indiquées, les éclipses calculées ne passaient pas par les lieux d'observations. Par exemple dans le cas de l'éclipse dite de Thalès, éclipse qui selon la légende rapportée par Hérodote dans l'Enquête, aurait été prédite aux Ioniens par Thalès, les astronomes et les historiens ont longtemps hésité entre plusieurs dates. Ainsi Eusèbe et Cicéron la plaçait en -584 (585 avant J.-C.), Scaliger en -582 (583 avant J.-C.) et Arago en -609 (610 avant J.-C.) Les astronomes anglais Airy et Fotheringham hésitèrent entre l'éclipse du 17 mai -602 (603 avant J.-C.) et celle du 28 mai -584 (585 avant J.-C.) avec une préférence pour la deuxième date. De nos jours, la bonne connaissance de l'écart entre le TT et le TU nous permet de confirmer la deuxième date, l'éclipse de -584 passant sur l'Asie Mineure.

La figure ci-contre nous montre les tracés des bandes de centralité des éclipses du 24 mai -584 et du 18 mai -602, nous avons tracé également les bandes de totalité des éclipses situées trois et six saros avant l'éclipse de -584. Certains historiens avaient émis, à tort, l'hypothèse que la prédiction de Thalès était possible car il aurait eu connaissance de l'éclipse homologue ayant eu lieu trois saros plus tôt. Comme on le constate cette éclipse passe bien plus au nord, suite au décalage en latitudes des éclipses homologues des suites longues d'éclipses.

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L'éclipse de Thalès et les éclipses homologues
Crédit : IMCCE/Patrick Rocher

Exemple de la détermination du ralentissement de la rotation terrestre

L'éclipse de -135 à Babylone

L'éclipse du Soleil du 15 avril -135 (136 avant J.-C.) est décrite dans deux textes cunéiformes écrits sur des tablettes d'argile se trouvant au British Museum. Outre la mention de l'éclipse, un des textes atteste la visibilité des planètes Mercure, Vénus et Jupiter au moment de l'éclipse. Si l'on ne tient pas compte du ralentissement de la Terre, la bande de centralité passe sur le sud de la France et l'Afrique du Nord. Pour faire passer l'éclipse, donc la bande de centralité sur Babylone, nous avons pris une valeur de la différence Temps terrestre moins Temps universel égale à 3h 14m 23s.

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Crédit : IMCCE/Patrick Rocher

La prédiction des éclipses

Une simple observation d'éclipses permet de constater que les éclipses de Lune ont lieu uniquement à la pleine Lune et que les éclipses de Soleil ont lieu uniquement à la nouvelle Lune. La probabilité d'observer une éclipse de Lune en un lieu donné est beaucoup plus forte que la probabilité d'observer une éclipse de Soleil. On pense que les Babyloniens surent très tôt que les éclipses de Lune étaient séparées par cinq ou six lunaisons. Une des plus vieilles prédictions que l'on ait retrouvée date de 731 avant J.-C. et concerne l'éclipse de Lune du 9 avril 731 avant J.-C., le texte précise même que l'éclipse ne sera pas observable car la Lune ne sera pas levée. Des tablettes babyloniennes datant de 475 avant J.-C., contenant des éphémérides de la Lune, donnent dans une colonne un paramètre, qui correspond à la distance entre le centre de la Lune et le centre du cône d'ombre de la Terre, et qui permet de calculer la possibilité des éclipses de Lune. Sur d'autres tablettes figurent également des prédictions d'éclipses de Lune sur une période de 126 ans répartie en périodes de 223 lunaisons correspondant à la période de récurrence des éclipses. Dans chaque saros, 38 éclipses de Lune sont réparties en cinq suites courtes de 8,8,7,8 et 7 éclipses, les éclipses étant espacées entre elles dans les suites par six lunaisons et les suites courtes étant espacées entre elles par cinq lunaisons.

En Chine, on a trouvé les règles du saros chinois pour déterminer les éclipses de Lune dans des textes datant de l'époque de la période des Hans. On ne sait pas si la prédiction des éclipses de Soleil à l'aide du saros date des mêmes époques. La vérification par l'observation de la pertinence du saros pour les éclipses de Soleil étant quasi impossible en raison de la très faible probabilité d'observer une éclipse de Soleil.

Il ne faut surtout pas perdre de vue les faits suivants : le saros permet uniquement de déterminer la date d'une éclipse de Soleil, il ne permet pas de savoir où l'éclipse est observable. La détermination de la visibilité d'une éclipse de Soleil, en un lieu donné, nécessite la connaissance de la parallaxe lunaire et de la position de la Lune au demi-degré près, choses impossibles avant Ptolémée donc avant le milieu du IIe siècle.


Intérêt scientifique des éclipses de Soleil

La liste suivante contient une série de découvertes scientifiques liées aux éclipses de Soleil depuis le XIXe siècle :


Intérêt scientifique des éclipses de Soleil-2

Malgré la très forte évolution technologique qui permet de nos jours de suivre l'état du Soleil en temps réel, les éclipses totales de Soleil sont encore indispensables à l'étude de la basse couronne. En effet pour des raisons thermiques les coronographes qu'ils soient embarqués dans des sondes spatiales ou qu'ils soient à Terre, ont un diamètre trop important pour permettre la visualisation de la base couronne solaire.