Le cycle du milieu interstellaire

Auteur: Sylvie Cabrit

Le cycle de transformation du milieu interstellaire

Le milieu interstellaire est un milieu dynamique en perpétuelle transformation, où le gaz circule rapidement (< 107 ans) d’une phase thermique à une autre, via un « cycle » évolutif illustré dans la figure ci-dessous.

La première moitié du cycle (du haut en bas de la figure dans le sens inverse des aiguilles d'une montre) est une séquence de condensation depuis la phase diffuse et tiède vers le gaz moléculaire froid et dense où vont se former les étoiles.

la deuxième moitié du cycle (de bas en haut dans le sens inverse des aiguilles d'une montre) est une séquence de ré-expansion où les effets de rétroaction radiative et mécanique des étoiles ramènent le gaz dans la phase diffuse.

attentionLe rôle central du MIS dans la formation stellaire

Les mécanismes qui induisent ou influencent le cycle du MIS déterminent le taux de conversion du gaz en étoiles, qui est un paramètre fondamental pour l’évolution des galaxies. Cela en fait un sujet de recherche très important en astrophysique. Plusieurs mécanismes de base qui entretiennent le cycle du MIS ont été identifiés (indiqués en rouge sur la Figure ci-dessous) et bien que plusieurs aspects posent encore question, ils permettent d'en comprendre les grandes étapes, que nous décrivons brièvement ci-dessous :

Le Cycle du MIS
LifeCycle-MIS.png
Crédit : Copyleft © 2013 Steward Observatory Radio Astronomy Laboratory

Cycle de condensation du MIS

  1. La majorité de la masse du MIS se trouve dans la phase tiède diffuse, neutre ou ionisée (WIM ou WNM)
  2. Sous l'effet d'une compression, par exemple passage d'une onde de choc, le gaz subit une instabilité thermique (voir ci-dessous) qui le fait passer dans la phase atomique froide (100 K, CNM), pour former un nuage HI plus dense.
  3. Dans les zones abritées du flux UV interstellaire, l'hydrogène devient majoritairement moléculaire et il se forme un nuage moléculaire géant (GMC). Le rayonnement très efficace des molécules de CO refroidit le gaz, qui se condense sous l'effet de la pression ambiante et de l'auto-gravité.
  4. Sous l'effet combiné de la turbulence et du champ magnétique, une structure filamentaire / fractale s'établit et des petits globules (appelés "coeurs denses") se forment dont certains deviennent instables par leur propre gravité et s’effondrent pour former des étoiles.

Cycle de ré-expansion du MIS

Une fois formées, les étoiles ont une forte rétroaction sur le MIS via plusieurs agents qui agissent en parallèle, et ont tendance à faire retourner le gaz de la phase dense à la phase diffuse tiède :

Par l'effet cumulatif du rayonnement UV et des ondes de chocs, les étoiles massives finissent par détruire leur nuage moléculaire parent en quelques millions d'années ; le cycle du MIS est alors bouclé et un nouveau cycle peut commencer.


Régulation de la formation stellaire

Auto-régulation de la formation stellaire

La rétroaction des étoiles a globalement un effet auto-régulateur sur la formation stellaire : l’injection d’énergie à toutes les échelles, par le rayonnement et les ondes de choc produites par les vents stellaires, contribue à alimenter les mouvements turbulents du gaz qui s’opposent à la gravité : cela pourrait expliquer pourquoi seulement quelques % de la masse d’un GMC sont convertis en étoiles avant que le nuage ne soit détruit par les étoiles massives. Un autre facteur régulateur possible est le champ magnétique, qui semble être suffisamment fort pour réguler la formation des filaments denses où se forment préférentiellement les étoiles (voir la partie sur les mesures de Champ magnétique).

Formation stellaire induite

En parallèle à cet effet global régulateur, on a récemment observé (en particulier grâce au satellite Herschel) que la compression induite par les ondes de choc autour des régions HII et des restes de supernovae peut localement avoir une rétroaction positive et au contraire favoriser la formation de nouvelles étoiles massives. C'est le phénomène de « formation stellaire induite ». Un exemple est présenté dans la figure ci-contre. L'efficacité globale de ce phénomène, et la distribution en masse des étoiles qui en résulte, sont encore un sujet de recherche très ouvert.

Formation stellaire induite
RCW120_LR.jpg
Images de la jeune région HII RCW120 obtenues par le satellite Herschel (bleu : 100 μm, vert : 160 μm, rouge : 250 μm) ; à l'interface entre la bulle de gaz ionisé (en bleu) et le nuage ambiant (jaune-orangé), une protoétoile massive s'est formée, qui apparaît ici comme un point lumineux blanc sur la droite de la bulle.
Crédit : ESA, PACS & SPIRE Consortia, A. Zavagno pour les programmes clefs Herschel HOBYS et Evolution of Interstellar Dust

L'instabilité thermique du MIS

La plupart du milieu interstellaire de notre Galaxie se trouve dans la phase diffuse tiède, atomique ou ionisée, à 5000-10000 K (WNM et WIM) ; sous l'effet d'une compression extérieure le gaz va directement passer dans la phase atomique froide à 100 K (CNM) sans passer par des stades de température intermédiaire, car ces derniers sont instables. L'origine de cette instabilitié thermique est la forme de la courbe qui donne la pression d'équilibre du gaz P = nkT_equ en fonction de sa densité n. Ici T_equ est la température d'équilibre où le taux de refroidissement radiatif compense le taux de chauffage du gaz (dû principalement à l'effet photoélectrique des photons UV interstellaires sur les grains). La figure ci-contre illustre la courbe d'équilibre de P/k en fonction de n pour des conditions d'irradiation typiques de l'environnement solaire. On voit qu'elle est composée de deux "branches" stables de dérivée dP/dnpositive : celle à basse densité est le WIM (température d'environ 10 000 K, refroidissement principalement par la raie Lyman α et les raies de recombinaison) ; celle à haute densité est le CNM (température 100 K, refroidissement dominé par les raies hyperfines de O et C+). Entre les deux il y a une portion de courbe (en rouge) autour de n ~ 0.6-4 cm-3 où la dérivée dP/dn est négative. Elle correspond à un équilibre instable qui ne peut être rencontré durablement : si un élément de gaz situé au point 2 est perturbé pour se trouver en très légère sous-pression par rapport à son environnement (P < Pext), il va être comprimé par le milieu extérieur et augmenter sa densité, mais en raison de la pente négative de la courbe P(n), sa pression interne va encore diminuer : il continuera donc d'être comprimé et à se densifier jusqu'à atteindre un nouvel équilibre (stable) au point 3 où P = Pext. De même s'il est en légère surpression par rapport à l'environnement (P > Pext), il subira une expansion qui diminuera sa densité ; sa pression d'équilibre (donnée par la courbe rouge) augmentera alors, et l'expansion se poursuivra jusqu'à ce qu'il passe sur la branche gauche de la courbe et atteigne un équilibre stable, de plus faible densité et de plus haute température, au point 1. On voit que dès que la pression ambiante dépasse environ 3000 K cm-3, le gaz passera rapidement du Milieu tiède (branche stable de gauche) au Milieu atomique HI plus dense à 100 K (branche stable de droite) via cette instabilité thermique. Ce changement de phase initie le début du cycle de condensation du MIS (voir ci-dessus) qui mène à la formation stellaire.

origine de l'instabilité thermique dans le milieu atomique
thermal-instab-annotated.jpg
Pression thermique P/k à l'équilibre en fonction de la densité dans le milieu atomique, pour des conditions d'irradiation typiques de l'environnement solaire. Les parties stables et instables de la courbe sont indiquées (voir texte).
Crédit : Adapté d'après Wolfire et al. 1995, ApJ