Dans cette section nous étudions quelques éclipses anciennes de Lune ainsi que leur prédiction et observation.
L'Astronomie des Césars fut publiée par Petrus Apianus en 1540. Dédiée à Charles Quint et à son frère Ferdinand, l'Astronomie des Césars permet de déterminer les positions planétaires, ainsi que les éclipses, pour une période comprise entre 7000 av. J.-C. et 7000 apr. J.-C. ! Apianus utilise à la perfection l'usage des disques mobiles, ou " volvelles ". Des fils de soie permettent de lire les graduations sur les cadrans extérieurs. Les calculs sont effectués en utilisant les théories de Ptolémée. La figure ci-dessous nous montre une des pages dédiées au calcul des éclipses de Lune. On y voit la Lune, les cônes d'ombre et de pénombre de la Terre représentés avec des proportions assez bonnes.
Difficilement décelable à l'œil nu les éclipses de Lune par la pénombre ne seront pas observées avant l'apparition de la lunette astronomique, il convient malgré tout de signaler l'observation d'une éclipse par la pénombre par les Babyloniens le 1 août -187 (188 av. J.-C.). Une étude des observations des éclipses de Lune publiées par les chroniqueurs arabes médiévaux faite par Said et Stephenson en 1991 montre que l'on a des observations à l'œil nu d'éclipses partielles par l'ombre jusque des grandeurs de 0,28 et de 0,12.
Les Babyloniens surent prédire la date et la visibilité des éclipses de Lune relativement tôt, on dispose d'un texte datant du règne de Ukin-zer (731 av. J.-C. - 729 av. J.-C.) où figure la prédiction de l'éclipse de Lune du 9 avril -730 avec la mention de son invisibilité à Babylone. On distingue deux types de sources, les éclipses babyloniennes décrites par Ptolémée dans l'Almageste, elles sont au nombre de dix :
Date de l'éclipse | Type de l'éclipse |
---|---|
19 mars - 720* | Totale (1,49) |
8 mars - 719* | Partielle (0,08) |
1 septembre - 719 | Partielle (0,46) |
22 avril - 620 | Partielle (0,18) |
16 juillet - 522 | Partielle (0,56) |
19 novembre -501* | Partielle (0,22) |
25 avril - 490 | Partielle (0,12) |
23 décembre - 382* | Partielle (0,23) |
18 juin - 381* | Partielle (0,51) |
12 décembre - 381* | Totale (1,50) |
(*) Ces observations ont été utilisées par Ptolémée pour calculer les variations de l'anomalie de la Lune. En plus de ces observations, Ptolémée donne six autres observations d'éclipses de Lune dont cinq ont été faites à Alexandrie et une à Rhodes.
L'autre source d'observations d'éclipses de Lune par les Babyloniens est constituée de textes cunéiformes. On y dénombre une soixantaine d'éclipses réparties entre 695 av. J.-C. et 67 av. J.-C.
Les données d'observations d'éclipses de Lune par les Chinois sont plus tardives, elles sont réparties entre l'an 434 et l'an 1280, les données d'observations d'éclipses de Lune par les Arabes sont comprises entre l'an 854 et l'an 1019. La totalité de ces observations a été utilisée, avec les observations d'éclipses de Soleil, pour déterminer les écarts entre le Temps universel et le Temps terrestre durant les siècles passés.
Cette éclipse totale de Lune (m =1,23) eu lieu le 20 septembre -330 (331 av. J.-C.), à l'époque des combats entre Alexandre le Grand et les forces perses de Darius III, à Gaugamèles près d'Arbèles. La vue de cette éclipse aurait désorganisé les forces perses et permis la victoire d'Alexandre 11 jours plus tard (Plutarque,Vie d'Alexandre, Livre XXXI). Cette éclipse est également mentionnée par Pline l'Ancien (23 - 79 ap. J.-C.) dans son Histoire Naturelle (Livre II), selon Pline cette éclipse fut également visible en Sicile au lever du Soleil alors qu'elle a eu lieu la nuit à Arbèles. Pline utilise ce décalage horaire pour prouver que la Terre est ronde. L'éclipse d'Alexandre est également décrite par Arrien de Nicomédie (v. 95 - v. 175) dans L'Expédition d'Alexandre ou Anabase (Livre II) ; il situe la bataille d'Arbèles au mois de Pyaneptiôn lorsque Aristophane était Archonte d'Athènes. Une autre description intéressante de l'éclipse est celle donnée par Quinte-Curce (Ier s. apr. J.-C.) dans son Histoire d'Alexandre le Grand (Livre IV). C'est, en effet, une des plus anciennes allusions à l'aspect rougeâtre des éclipses totales de Lune.
Cette éclipse partielle de Lune (m= 0,746) eu lieu le 22 mai de l'an 1453, elle mit fin au siège de Constantinople par les troupes turques du Sultan Mohammed II. La ville est vaillamment défendue par l'empereur Constantin Dragasès (1448-1453) et le Génois Giustiniani, une ancienne prophétie affirmait que la ville ne pourrait tomber qu'à la Lune croissante, alors qu'ils avaient déjà repoussé trois assauts avec succès et confiance, le lever de la pleine Lune éclipsée démoralisa les assiégés. La ville fut prise le 29 mai, sept jours plus tard. Cette victoire des Turcs sur les forces chrétiennes marque la fin de l'empire byzantin et le début de l'empire ottoman.
Cette éclipse totale de Lune (m=1,097) eu lieu le 29 février de l'an 1504. Lors de son quatrième voyage Christophe Colomb, échoua sur les côtes de la Jamaïque. Suite à la mutinerie d'une partie de son équipage qui déroba une partie de ces réserves, Christophe Colomb se trouva à court de vivres, les indiens refusant de l'approvisionner. Christophe Colomb prédit aux indiens une éclipse totale de Lune trois jours avant sa venue et la présenta comme un signe céleste du mécontentement du Dieu des chrétiens. L'éclipse eu lieu effectivement la nuit du 29 février est fut, nous dit Christophe Colomb, d'un rouge sombre. Fortement impressionnés par ce phénomène céleste, les indiens ravitaillèrent Christophe Colomb et son équipage jusqu'à l'arrivée des secours, quatre mois plus tard. Christophe Colomb ne cite pas ses sources pour la détermination de cette éclipse. À cette époque trois sources étaient possibles : les éphémérides et Calendarium de Regiomontanus (pour Nuremberg), l'Almanach Perpetuum d'Abraham Zacuto (pour Salamanque) et enfin le Lunarium de Bernard Granollachs (pour Barcelone). Christophe Colomb a vraisemblablement utilisé le Calendarium de Regiomontanus. La Lune se lève éclipsée, C. Colomb va mesurer la durée de l'éclipse, cinq sabliers depuis le coucher du Soleil, et va en déduire la longitude du lieu. Dans le calcul de cette longitude, il va commettre une erreur importante de 37°.
Aristote (384 - 322 av. J.-C.) dans le Traité du ciel (Livre II, 13) nous informe que les Pythagoriciens, notamment Philolaos (~470 - ~390 av. J.-C.), avaient observé qu'il y avait plus d'éclipses de Lune que d'éclipses de Soleil, ils avaient expliqué ce phénomène en supposant l'existence d'une seconde Terre, l'anti-Terre, située à l'opposé de la Terre par rapport à un feu central et qui venait s'interposer entre le Soleil et la Lune. Cette anti-Terre n'était donc pas visible de la Terre et doublait le nombre d'éclipse de Lune. Cette explication, bien qu'étonnée, prouve que les Pythagoriciens avaient bien compris le mécanisme des éclipses, notamment que les corps célestes sont sphériques et que certains sont lumineux et d'autres plus ou moins opaques.
L'observation des éclipses de Lune a été utilisée par Aristote pour prouver que la Terre était ronde, ainsi dans le Traité du ciel (Livre II, 14) on peut lire "Lors des éclipses, la Lune a toujours pour limite une ligne courbe : par conséquent, comme l'éclipse est due à l'interposition de la Terre, c'est la forme de la surface de la Terre qui est cause de la forme de cette ligne". On remarquera que cette preuve n'est pas suffisante pour prouver la sphéricité de la Terre, un cylindre et un disque ont également des ombres circulaires. Le dessin ci-dessous, qui illustre la démonstration d'Aristote, est extrait de la Cosmographie de Petrus Apianus (1581).