La plus ancienne forme sous laquelle les éphémérides fournissent les positions des astres est une table de positions dont l'intervalle (une heure, un jour, un mois, ...) dépend de la vitesse de variation des valeurs de ces positions. Plus cette variation est rapide, plus petit doit être l'intervalle de temps séparant deux données successives. La simple lecture d'une table, accompagnée d'une interpolation à vue, suffit pour fournir une position permettant de repérer l'astre dans le ciel. Cependant, si l'on souhaite une précision plus grande, il faut effectuer une interpolation qui n'est plus linéaire, ce qui demande des calculs plus complexes à partir des valeurs publiées si celles-ci le permettent. Pour une précision plus grande, il faut diminuer l'intervalle entre deux positions et donc augmenter le volume de données publiées. L'Astronomical Almanac et le Guide des données astronomiques encore aujourd'hui, et la Connaissance des Temps jusqu'en 1979, contiennent des éphémérides sous forme de telles tables.
Citons le cas de la Lune : pour une précision de 0.01 seconde de degré, l'intervalle entre deux positions doit être de 3 heures ce qui conduit à la publication de 2920 valeurs annuellement par coordonnée. Citons aussi le cas des satellites galiléens de Jupiter qui ont un mouvement extrêmement rapide autour de Jupiter. Une éphéméride tabulée aurait nécessité un pas toutes les 20 minutes soit près de 30 000 valeurs pour une année! Cela conduit à un volume de données trop important pour être publié tel quel dans une éphéméride imprimée. D'autres solutions doivent être trouvées.
Une éphéméride est une table qui fournit, pour des dates particuières en principe équidistantes, les valeurs d'une ou de plusieurs fonctions qui décrivent l'évolution des positions des astres concernés, ou d'autres grandeurs relatives à ces astres. On appelle interpolation la technique de calcul qui permet d'évaluer les valeurs de ces fonctions pour des dates intermédiaires autres que celles qui figurent dans l'éphéméride.
Le cas le plus simple est celui où la fonction considérée varie assez lentement, ou est donnée avec assez peu de précision pour qu'aucun calcul ne soit nécessaire. On se contente alors d'une interpolation à vue (par exemple, magnitude de la planète Jupiter : aucun calcul n'est nécessaire, quand on examine l'éphéméride du chapitre 5, pour estimer que sa valeur est -1,8 le 2 juillet 2002).
Plus souvent, on devra employer l'interpolation linéaire et procéder comme suit. Soit :
t, l'instant pour lequel on veut calculer le fonction f ;
t1, l'instant immédiatement inférieur ou égal à t et figurant dans l'éphéméride, la valeur correspondante de f étant f1 ;
t2, l'instant immédiatement supérieur à t et figurant dans l'éphéméride, la valeur correspondante de f étant f2.
Alors, on calculera f par la formule :
où
et
s'appellent respectivement facteur d'interpolation et différence première.
Dans certains cas, l'interpolation linéaire fournit un résultat trop imprécis. Pour s'en rendre compte, on forme le tableau suivant :
où t0, t1, t2, t3, etc sont des instants figurant dans l'éphéméride, et f0, f1, f2, f3, etc les valeurs correspondantes de la fonction f données par cette éphéméride. Les quantités :
{k=0,1,2,...}
s'appellent respectivement différences premières, différences secondes, différences troisièmes, etc. L'interpolation linéaire est suffisante si les différences secondes sont inférieures à 4 unités du dernier ordre envisagé. Sinon (et à condition que les différences troisièmes n'excèdent pas 62 unités du dernier ordre envisagé, ce qui sera toujours le cas dans cet ouvrage), on emploie la formule de Bessel :
où n est le même facteur d'interpolation que plus haut, et, compte tenu des expressions ci-dessus :
Comme nous l'avons vu, les corps rapides comme les satellites de Jupiter ne peuvent avoir des éphémérides précises publiées annuellement. Une première solution consiste alors à offrir au lecteur une représentation graphique dont la lecture conduit à une précision de quelques dizaines de secondes de degré, précision bien faible mais suffisante pour identifier les corps lors d'une observation. On trouvera ci-dessous les configurations des satellites de Jupiter publiées par la Connaissance des temps. A gauche pour un mois de l'année 1808 et à droite pour 2000.
L'usage très répandu aujourd'hui des calculatrices de poche et des micro-ordinateurs permet d'utiliser une formulation plus complexe pour les éphémérides et on va chercher plutôt à conserver une précision de représentation optimale sur la période de temps couverte par l'éphéméride. Ainsi, au lieu d'évaluer une fonction f(t) sous la forme d'un tableau de valeurs calculées à des intervalles rapprochés du temps, on va établir des fonctions d'approximation de f(t) valables sur de grands intervalles de temps, en minimisant les erreurs et le volume global des données.
L'éphéméride veut donc représenter une fonction f(t) constituée, soit par le résultat d'une intégration numérique, soit par une fonction analytique du temps qui traduit le mouvement d'un corps ou l'évolution temporelle d'un phénomène. Or, on sait que toute fonction peut être approchée sur un intervalle de temps donné par un polynôme dont le degré et le nombre de termes sont d'autant plus élevés que l'intervalle de temps est grand. Une telle approximation n'est pas optimisée et le volume de données à publier est important mais l'utilisation d'une telle éphéméride est très simple puisqu'il suffit de substituer le temps dans les polynômes ainsi construits. D'autres représentations sont cependant bien meilleures.
Les fonctions que nous voulons approcher sont toujours définies pour toutes les valeurs de la variable temps. L'approximation lagrangienne par des polynômes consiste à faire passer, pour un intervalle donné, un polynôme de degré n par n+1 valeurs, alors qu'il serait préférable de tenir compte de toutes les valeurs de la fonction sur cet intervalle. L'approximation de Tchebychev s'impose pour cela, car elle est celle de plus bas degré dont l'erreur ne dépasse pas une valeur donnée a priori, et son erreur est régulièrement distribuée sur l'intervalle considéré.
La fonction d'approximation va se présenter comme une suite de développements en polynômes de Tchebychev sur une succession d'intervalles de temps. Ainsi le volume de données est réduit et le calcul des positions est rapide. Cette représentation est donc bien adaptée aux besoins des astronomes (amateurs, professionnels, théoriciens, astrométristes, ...).
Les éphémérides Tchebychev se présentent sous la forme d'une suite de coefficients a0, a1, ...an pour une coordonnée donnée sur un intervalle [t1, t2]. L'utilisation de ces éphémérides se fait de la manière suivante. Le calcul de la valeur de la coordonnée à l'instant t de l'intervalle [t1, t2] se fait en effectuant le changement de variable :
x=-1+{2(t-t1)}/{t2-t1}, donc x appartient à l'intervalle [-1, +1]
Les polynômes de Tchebychev de première espèce Tn(x) sont donnés par la relation :
On peut aussi les calculer à l'aide de la relation de récurrence :
avec et
La coordonnée est alors égale à :
Dans la majorité des éphémérides -Soleil, Lune, planètes-, on a choisi des polynômes de Tchebychev pour la réalisation des éphémérides. Voyons maintenant comment calculer une position à partir de cette représentation.
Ci-contre, un extrait de la Connaissance des Temps pour l'année 2000 : l'ascension droite et la déclinaison sont fournies sous forme de coefficients : il faut programmer un petit formulaire simple pour calculer les valeurs pour tout instant de l'intervalle de validité. Les données à publier sont peu importantes et la précision des valeurs obtenues est la meilleure.
Soit t une date julienne appartenant à l'intervalle de temps t0, t0 + DT et y une coordonnée d'un astre. On calcule par la formule :
Où
Les éphémérides de l'année sont publiées corps par corps. Pour chaque corps, on compte un certain nombre de variables qui pour des intervalles de temps donnés, sont représentées par des tableaux donnant les coefficients de leurs développements en polynômes de Tchebychev ou sous forme de fonctions mixtes.
En haut de chaque page, on trouve :
En bas de chaque page, on trouve les unités utilisées.
Les coefficients d'un tableau sont publiés en colonne. Pour chaque tableau, on précise :
La valeur de contrôle permet de vérifier que les coefficients ont été correctement entrés en mémoire sur une calculette ou un calculateur. De plus, l'ensemble des valeurs de contrôle des tableaux d'une même variable donne une idée de l'évolution de cette variable au cours de l'année.
Pour calculer la valeur d'une coordonnée d'un astre pour une date t exprimée en UTC, on commence par :
Le calcul se poursuit de la manière suivante :
Exemple 1. Calculer le rayon vecteur héliocentrique de Mars le 5 Novembre 2003 à 16h 51m 42s UTC.
On effectue d'abord une correction pour se ramener à l'argument des éphémérides. Pour 2003, la valeur de TT - UTC n'est pas encore connue, mais on peut la prendre égale à 65 s. La date t est donc le 5 novembre 2003 à 16h 52m 47s argument des éphémérides.
On utilise les coefficients de la page B36 valables du 0 juillet 0h au 33 décembre 0h. Le calendrier des pages B148 et B149 donne les numéros JDA des jours de l'année correspondant au 0 juillet (JDA = 181) et au 5 novembre (JDA = 309). On a :
DT = 186 ;
t - t0 = 309 - 181 + 16h 52m 47s = 128.703 321 759 jours
On en déduit par la formule (2) :
On peut calculer les polynômes de Tchebychev par l'un des deux algorithmes suivants :
Les polynômes de Tchebychev sont calculés par la relation (3) :
où
On a : θ = 67°.424 117 27. On en déduit :
T1(x)= cos (θ) = x = 0.383 906 686
T2(x)= cos 2(θ) = -0.705 231 314
T4(x)= cos 4(θ) = -0.005 297 589
T6(x)= cos 6(θ) = 0.712 703 365
T8(x)= cos 8(θ) = -0.999 943 871
Les polynômes sont calculés par la relation de récurrence (4) :
avec : ;
On en déduit :
,
, etc
Les polynômes de Tchebychev étant déterminés, le rayon vecteur R de Mars se déduit de la formule (1) :
,
Où les coefficients de a0, a1, ..., a9 sont ceux du tableau de la page B36 valables du 0 juillet 0h au 33 décembre 0h. On a donc :
R = 1.415 514 22 + 0.035 889 20 T1 + ... + 0.000 000 04 T9,
Soit finalement :
R = 1.412 255 01 ua.
Comme nous l'avons vu, l'approximation polynomiale n'est pas la seule possible pour représenter une éphéméride. L'introduction des fonctions mixtes, permet de prendre en compte le caractère quasi-périodique des fonctions qui apparaissent dans les éphémérides. En effet, une fonction quasi-périodique à variations faibles sur un intervalle donné peut être approchée par un développement en polynômes de degré n peu élevé mais on n'a pas utilisé le fait que la fonction soit quasi-périodique sur l'intervalle considéré, ce qui est le cas du mouvement des corps du système solaire.
Voyons par un exemple comment en tirer parti.
Soit la fonction paire f(x) = cos x + cos 2x
Elle est beaucoup mieux représentée avec la base de fonctions 1, cos x, cos 2x, cos 3x,... qu'avec la suite de polynômes 1, x2, x4, x6,... , ou toute autre base de polynômes pairs.
Si une éphéméride n'est jamais aussi simple dans la réalité, on peut toujours l'approcher par une combinaison de fonctions périodiques dont les périodes proviennent de la nature physique du phénomène (par exemple la périodede révolution d'un corps céleste), et de termes séculaires (polynômes du temps) qui témoignent du caractère non rigoureusement périodique du phénomène ou du mouvement décrit.
Le mode de représentation à l'aide des fonctions mixtes est très bien adapté à la représentation des mouvements des satellites naturels des planètes et des corps à période courte qui s'écartent peu, sur quelques périodes, d'un mouvement périodique, avec des variations d'amplitude et de fréquence lente par rapport à la période principale du corps et de ses multiples entiers.
Dans la Connaissance des Temps on trouve en particulier l'expression des coordonnées différentielles des satellites naturels des planètes sur des intervalles de temps couvrant une à quelques révolutions, avec des formules faciles à mettre en œuvre directement par l'utilisateur et qui se présentent ainsi :
.
où est une période proche de la période de révolution du corps ; les aj, bj, cj, sont les amplitudes, ; les φj et Ψj sont les phases (j = 0, 1, 2). Cette formule découle du choix de la base. Les termes mixtes sont de la forme : A tksin(p nu t + Ψ) (k et p entiers A : amplitude ; Ψ : phase). Sur un intervalle de temps donné les valeurs maximales de k et p sont ajustées en fonction de la précision recherchée. Si l'intervalle de représentation est élargi, il faudra enrichir la base de termes mixtes en puissance du temps et en multiples de la fréquence de base. Mais si l'intervalle de temps se rétrécit, il faut également modifier la base sous peine de perdre de la précision (ce n'est pas le cas avec la représentation à l'aide de polynômes dont la précision augmente quand l'intervalle diminue.
Voyons maintenant l'application des fonctions mixtes pour la représentation du mouvement d'un satellite de planète en révolution rapide.
Soit t une date julienne appartenant à l'intervalle de temps t0, t0 + DT. On calcule les coodonnées X et Y d'un satellite pour la date t par la formule (Chapront et Vu, 1984) :
(5),
où :
Les éphémérides de l'année sont publiées corps par corps. Pour chaque corps, on compte un certain nombre de variables qui, pour des intervalles de temps donnés, sont représentées par des tableaux donnant les coefficients de leurs développements en polynômes de Tchebychev ou sous formes de fonctions mixtes.
En haut de chaque page, on trouve :
En bas de chaque page, on trouve les unités utilisées.
Les coefficients d'un tableau sont publiés en colonne. Pour chaque tableau, on précise :
Pour calculer la valeur d'une coordonnée d'un astre pour une date t exprimée en UTC, on commence par :
Le calcul se poursuit de la manière suivante :
On applique la formule (5) avec (u est compté en jours).
Exemple 2. Calculer les coordonnées tangentielles de Téthys (troisième satellite de Saturne) par rapport à la planète, le 4 janvier 2003 à 23h 29m 57s UTC.
On effectue la même correction de 65s que dans l'exemple 1 pour se ramener à l'argument des éphémérides. La date t est donc le 4 janvier 2003 à 23h 31m 02s argument des éphémérides.
On utilise les coefficients de la page B120 valables du 0 janvier 0h au 16 janvier 0h. On a, pour X :
A0 = -0.001 000, A1 = 0.0
B0 = 50.188 200, F0 = 2.518 466, etc.
et, pour Y :
A0 = 0.002 100, A1 = 0.000 010,
B0 = 23.773 900, F0 = 1.092 443, etc.
On applique ensuite la formule (5) :
,
où : N = 3.3280 radians/jours ;
u est le nombre de jours écoulés entre le 0 janvier à 0h et le 4 janvier à 23h 31m 02s, soit 4.979 884 jours. On obtient finalement :
X = 12".387, Y = -21".897.
Lorsque l'on utilise une éphéméride pour calculer la position d'un corps du système solaire, on est amené à se poser la question : quelle est la précision de la quantité calculée ? Où se trouvera le corps observé par rapport à la position calculée ? On veut donc connaître la précision de l'éphéméride ou plutôt son exactitude. La précision des éphémérides est la résultante de trois types de précisions différentes :
Aujourd'hui, la précision avec laquelle on peut positionner une planète ou un satellite de planète est la suivante :
Soleil/Terre | 0,3" | 220 km |
Mercure | 0,9" | 440 km |
Vénus | 0,3" | 70 km |
Lune | 0,008" | 15 m |
Mars | 0,4" | 60 km |
Jupiter | 0,5" | 1500 km |
Satellites galiléens de Jupiter | 0,1" | 300 km |
Saturne | 0,9" | 5400 km |
Titan | 0,2" | 1200 km |
Uranus | 0,5" | 6550 km |
Neptune | 1,0" | 20 000 km |
Pluton | 1,0" | 20 000 km |
A noter que pour les besoins de l'exploration spatiale, on est amené à construire des éphémérides de dernière minute plus précises mais se dégradant très rapidement dans le temps.