La découverte des galaxies et la compréhension de leur nature ont débouché sur la représentation d'un univers constitué d'îles de matière contenant chacune des milliards d'étoiles telles que la Voie Lactée, M31 et bien d'autres encore. A l'échelle de l'univers ces galaxies sont presque des points qui se déplacent dans l'espace. Quelle est la cinématique de ce "gaz" de galaxies ? Est-il en équilibre, s'effondre-t-il sur lui-même ? En fait, depuis notre point d'observation qu'est la Voie Lactée, l'écrasante majorité des galaxies ont l'air de s'éloigner de nous et ceci d'autant plus vite qu'elles sont distantes. Comment comprendre cette fuite des galaxies qui est mesurée par le décalage spectral vers le rouge de la lumière des galaxies ? Comment comprendre cette apparente répulsion alors que la loi universelle de la gravitation énonce que toutes les masses s'attirent ? Penser l'univers régi par les lois classique de la mécanique de Newton nous amène à ne plus rien comprendre à l'univers. Penser l'univers avec la relativité générale d'Einstein nous donne la solution. L'espace n'est plus une donnée indépendante et statique mais bien un objet qui peut se contracter ou se dilater en fonction de la matière qu'il contient. En effet, notre univers est en expansion, ce qui explique que les galaxies semblent s'éloigner de nous. Dans les faits, c'est l'espace lui-même qui se dilate et non les galaxies qui s'éloignent les unes des autres. Ce chapitre traite de l'observation de cette expansion, de sa mesure et de sa loi, la loi de Hubble, alors que le prochain l'expliquera théoriquement par le biais de la relativité générale.
Après avoir compris et prouvé par des mesures de distances que les galaxies n'étaient pas des nuages de gaz de notre galaxie mais bien des galaxies à part entière et clairement séparées les unes des autres, les astronomes se sont posés la question de leur cinématique, leur mouvement, ainsi que de leur dynamique, la cause de leur mouvement. Une méthode simple et directe consiste à observer les galaxies qui nous entourent en mesurant leur distance et à mesurer leur déplacement par rapport à nous. Cela permet d'avoir leur position en trois dimensions et leur vitesse radiale par rapport à la ligne de visée. La vitesse tangentielle est encore inaccessible pour la quasi-totalité des galaxies, excepté les plus proches représentant seulement une dizaine de galaxies. Leur dynamique est supposée être dominée par la force gravitationnelle entre les galaxies. La cinématique montre cependant des galaxies qui ont tendance à fuir la Voie Lactée, comme si notre galaxie exerçait une force gravitationnelle négative sur les autres galaxies, ce qui est en complète contradiction avec les lois de la gravitation classique.
La compréhension de la nature des galaxies et la découverte de leur cinématique apparaît à la même période qu'une autre grande découverte scientifique, la relativité générale, dans les années 1920. Très rapidement, plusieurs scientifiques, tels que Lemaître ou Friedmann, ont compris que cette fuite n'était pas due au mouvement propre des galaxies dans l'espace mais à l'évolution de l'espace qui se dilate, éloignant ainsi les galaxies les unes des autres. L'étude de l'univers, la cosmologie, nous oblige donc à étudier la matière et son évolution mais aussi l'évolution du continuum espace-temps qui ne peut plus être considéré comme statique et immuable.
Difficulté : ☆☆ Temps : 30 min
Avant de regarder l’expansion dans notre univers, illustrons ce phénomène dans un univers à deux dimensions et sphérique. Imaginons que nous vivons à la surface d'une sphère de rayon . Cet univers a pour caractéristique d’être de taille finie, avec une surface égale à , mais sans bord. De fait, il est possible d’aller indéfiniment en ligne droite sans jamais trouver d’obstacle. Imaginons que cet univers est en expansion, le rayon évoluant suivant la loi , en milliards d’années, exprimant la vitesse d'expansion qui vaut 1000 Mpc par milliard d'années, et en Mpc, avec Mpc.
Quelle est la surface de cet univers à ?
Soit deux points proches supposés sans interaction. A , leur distance, à la surface de la sphère, est notée , avec . Au fil du temps, cette distance va s’accroître. Quelle est leur distance en Mpc au temps et quelle est sa loi d'évolution ?
Combien vaudront le rayon et la surface de cet univers à 10 milliards d'années ?
Donner la vitesse à laquelle les deux points s'éloignent l'un de l'autre en fonction de la distance initiale.
Afin de mesurer l'évolution de l’espace-temps, il convient de mesurer le déplacement des galaxies nous entourant. Une méthode théoriquement possible serait de mesurer, pendant un intervalle de temps, la distance d'une galaxie et de la diviser par l'intervalle de temps. Cette méthode est, en pratique, impossible à réaliser du fait qu'elle requiert des précisions sur les mesures de distances inaccessibles. Une autre méthode plus réaliste pour calculer une vitesse est l'effet Doppler. Ce phénomène physique est bien connu pour la mesure de la vitesse d'un objet émettant une onde, soit un son ou de la lumière.
Lorsqu'un objet en mouvement par rapport à vous émet une onde, définie par une longueur d'onde, le déplacement de l'objet induit une dilatation ou une compression de l'onde, si l'objet s'éloigne ou se rapproche de vous. Par exemple, lorsqu’un camion de pompier s’approche de vous avec la sirène allumée, le son est plus aigu que lorsqu’il s’éloigne de vous, bien que le camion émette le même son en continu (voir image). De là, un décalage la de longueur d'onde, ou, ce qui est équivalent, de la fréquence de l'onde, permettra de déduire la vitesse de l'objet. La relation trouvée par le physicien Christian Doppler au XIXe siècle relie la longueur d’onde émise () à celle observée () en fonction de la vitesse de l’émetteur (, négative quand l'émetteur se rapproche et positive quand il s’éloigne) et de la vitesse de l’onde () :
Si l’on connaît la longueur d’onde émise, il est alors possible d'en déduire la vitesse de l’émetteur en renversant la relation précédente :
En astronomie, le terme est défini comme le décalage spectral d’une galaxie. S’il est positif, la longueur d’onde est allongée, décalée vers le rouge (le redshift en anglais) ; s’il est négatif, la longueur d’onde est décalée vers le bleu (blueshift).
Dans le cas des galaxies, le phénomène physique du décalage de la longueur d'onde est un peu plus subtil. Prenons le cas de deux galaxies distantes sans vitesse propre l'une par rapport à l'autre. L'effet Doppler devrait être nul ainsi que le décalage de longueur d'onde. Cependant, si l'univers est en expansion, cela induit une dilatation de l'onde lumineuse pendant son trajet de la galaxie émettrice jusqu'à nous. Si bien qu'en atteignant notre galaxie, l'onde lumineuse connaît un décalage qui s'apparente à un effet Doppler classique, comme si la première galaxie l'avait émise avec la vitesse due à l'expansion de l'univers. On parle alors d'effet Doppler cosmologique. De ce fait, certaines galaxies peuvent avoir des décalages spectraux supérieurs à 1 et donc des "vitesses d'expansion" équivalentes supérieures à la vitesse de la lumière. Cependant, il faut bien garder à l'esprit que ce n'est pas la galaxie qui a une vitesse supérieure à celle de la lumière mais l'univers qui se dilate. En plus de leur vitesse d'expansion, les galaxies ont des vitesses propres, dues à leur mouvement dans l'espace. Ces dernières sont bien plus faibles que la vitesse de la lumière (< 10 000 km/s). En définitif, le décalage d'une onde lumineuse provient de deux phénomènes physiques : l'effet Doppler classique dû au mouvement propre de la galaxie émettrice et l'effet Doppler cosmologique dû à l'expansion de l'univers.
Difficulté : ☆☆ Temps : 20 min
Supposons un camion de pompier s’approchant de vous à 100 km/h en émettant la note La à 440 Hz se propageant à une vitesse de 330 m/s.
Quelle est la longueur d'onde de cette note ?
Quelles longueur d'onde et fréquence entendez vous ?
Même question mais lorsque le camion s'éloigne de vous à 100 km/h.
Soit deux galaxies distantes l'une de l'autre et sans vitesse relative. Entre le moment où la première galaxie a émis des photons de la raie H à 650 nm et celui où la deuxième galaxie les reçoit, l'univers a doublé sa taille.
Quelle est alors la longueur d'onde reçue par la seconde galaxie ?
Combien vaut le décalage spectral z ?
Dans quel domaine se situe cette longueur d'onde ?
Les deux galaxies ont en fait une vitesse propre relative de +1 000 km/s, elles s'éloignent, quelle sera alors la mesure du décalage spectral en prenant en compte la vitesse propre et l'expansion de l'univers ?
L'importance de la connaissance de la vitesse d'expansion des galaxies pour comprendre l'évolution du continuum espace-temps de l'univers a généré plusieurs séries de relevés dédiés à la mesure d'un grand nombre de décalages spectraux. Il fallut attendre les années 1970 pour que des programmes de grande envergure prennent place (> 1 000 décalages spectraux). L'immense majorité des galaxies dans ces relevés ont des décalages spectraux positifs. Donc, la lumière provenant de ces galaxies est décalée vers le rouge. Cela signifie qu'entre leur émission et leur réception l'univers s'est dilaté. Cela étant confirmé pour des galaxies proches comme pour des galaxies plus lointaines, on en conclut que l'univers a connu de tout temps une expansion. Les très rares galaxies dont la lumière n'est pas décalée vers le rouge se situent juste à côté de la Voie Lactée dans le Groupe Local (< 1,5 Mpc). M31, notre galaxie voisine, en est un bon exemple avec une vitesse radiale de -120 km/s par rapport à la Voie Lactée. Leurs mouvements relatifs ne sont pas dominés par l'expansion de l'univers mais par l'attraction gravitationnelle. Dans ce cas, le décalage vers le bleu est dû à l'effet Doppler classique et non cosmologique.
Historiquement, le premier relevé spectroscopique a été entrepris par Slipher entre les années 1913 et 1927. Il a mesuré les décalages spectraux de quelques dizaines de galaxies se situant dans l'univers très proche (< 3 Mpc). Cela a permis par la suite à Lemaître puis à Hubble de montrer que l'univers est en expansion.
En 1977, Marc Davis, John Huchra, Dave Latham et John Tonry établissent un relevé spectroscopique de grande envergure pour l'époque : le relevé de décalages spectraux du CfA (Center for Astrophysics). A la différence de celui de Slipher, qui était confiné à l'univers très proche, ce relevé sonde l'univers jusqu'à 200 Mpc. Son objectif est de mesurer la vitesse radiale des galaxies plus brillantes que la magnitude 14,5 dans l'hémisphère nord. Des vitesses de 15 000 km/s ont été mesurées, ce qui correspond à un décalage spectral de 0,05. La suite de ce relevé, le CfA2, comprend 18 000 décalages spectraux de galaxies mesurés entre 1984 et 1995.
Un autre relevé plus récent est le 2dfGR (Two degrees field Galaxy Survey, Relevé de galaxies sur des champs de 2 degrés carrés). Il a mesuré des décalages spectraux jusqu’à une valeur de 0,2 et compilé plus de 200 000 objets. Son successeur, le 6dF Galaxy Survey a commencé ses observations en 2001 et a fini six ans plus tard. Il a cartographié presque tout le ciel de l’hémisphère sud et a obtenu plus de 100 000 décalages spectraux de galaxies proches (z < 0,06). Son nom provient aussi de son champ de vue, ici de six degrés carrés, qui permet de faire en une pose plus de 150 spectres.
Des exemples de spectres de galaxies spirales à différents décalages spectraux sont illustrés par les images ci-contre. Elles proviennent du relevé SDSS (Sloan Digital Sky Survey) qui en plus de cartographier une grande partie du ciel de l’hémisphère nord a aussi effectué un relevé spectroscopique des galaxies plus brillantes que la magnitude 17 en bande r. Le nombre de décalages spectraux ainsi mesurés approche le million. La majorité est entre 0 et 0,1. Cependant des quasars, bien plus éloignés, ont aussi été observés. On en trouve à des décalages spectraux supérieurs à 2 dans le SDSS.
Le but de cet exercice est de montrer les contraintes de temps liées aux relevés spectroscopiques.
Pour une magnitude limite de 14,5, le relevé CfA2 a permis de mesurer le décalage spectral de près de 15 000 galaxies. Pour une magnitude limite de 17, le SDSS en a mesuré près d'un million. Cela montre que le nombre de galaxies augmente de manière exponentielle et non linéaire avec la magnitude, en supposant que la surface couverte par le CfA2 et le SDSS est la même, ce qui est assez vrai. Cela permet très grossièrement de conclure que pour une magnitude de plus le nombre de galaxies est multiplié par 10. Combien de décalages spectraux de galaxies devrions nous alors mesurer pour une magnitude limite de 20 ?
Quelle méthode instrumentale est la plus adaptée pour faire une campagne efficace de relevé de décalage spectral ? Quelles sont les contraintes observationnelles les plus gênantes pour y parvenir ?
A la suite de la mesure des décalages spectraux, des études ont tenté de relier ces dernières à la distance des galaxies. Cela a débouché sur la célèbre loi de Hubble qui historiquement avait déjà été découverte par le cosmologue belge Georges Lemaître. Cette relation montre une proportionnalité entre la distance d'une galaxie et son décalage spectral. Plus une galaxie est éloignée, plus son décalage spectral est grand. La constante de proportionnalité est appelée constante de Hubble et est estimée aujourd'hui à près de 70 km/s/Mpc, alors qu'une valeur de plus de 500 km/s/Mpc a été mesurée lors de sa découverte. La relation s'écrit donc sous la forme :
où est la constante de Hubble et D la distance d'une galaxie. Cette relation entre vitesse d'expansion et distance a deux conséquences physiques. La première est qu’à faible distance l’expansion de l’univers ne se fait pas sentir. Qui sur Terre a déjà vu des objets s’éloigner sans raison ! Sur une échelle un peu plus grande (<2 Mpc), l’expansion de l’univers n’est pas dominante dans la dynamique des galaxies ; la force gravitationnelle domine. Quelques dizaines de galaxies ont alors un décalage vers le bleu dans le Groupe Local. Entre 10 et 50 Mpc, l’expansion bien que dominante se compose avec les vitesses particulières des galaxies pour produire un décalage spectral. Par exemple, dans l'amas de la Vierge à 16 Mpc, l'expansion de l'univers produit un décalage spectral de l'ordre de 1 100 km/s. Or les vitesses particulières des galaxies dans un amas tel que l'amas de la Vierge peuvent atteindre des valeurs de l'ordre de 500 km/s ajoutant un effet Doppler classique à celui cosmologique. Ainsi, M100 a un décalage spectral de 1 470 km/s quand M49 en a un de 840 km/s. Les vitesses particulières contribuent pour près de 30% au décalage spectral. Au-delà de 50 Mpc, la valeur du décalage spectral est dominé par l'expansion de l'univers.
Sur les millions de mesures de décalages spectraux effectuées depuis plus de 100 ans, l'écrasante majorité se révèle être des décalages spectraux vers le rouge et non vers le bleu. Deux possibilités peuvent expliquer cette tendance. Soit la Voie Lactée connaît une position très privilégiée au sein de l'Univers et il existe un mécanisme étrange qui fait que les autres galaxies s'en éloignent et d'autant plus rapidement qu'elles sont éloignées ; soit l'univers est homogène et isotrope et ces décalages vers le rouge ainsi que la Loi de Hubble résultent naturellement des lois d'Einstein.
La loi de Hubble est un outil très efficace pour estimer la distance des galaxies dans l'univers proche. Grâce à cela il est possible d'accéder à la troisième dimension spatiale et de voir la structure de l'univers à grande échelle.
Difficulté : ☆☆
Quelle est la relation entre le décalage spectral d'une galaxie de l'univers proche et sa distance ?
Soit une galaxie à un décalage spectral de 0,08, quelles sont sa distance et sa vitesse radiale ?
Soient deux galaxies sans vitesse par rapport à nous mais en interaction à une distance de la Voie Lactée de 200 Mpc. Leur interaction mutuelle confère une vitesse radiale de 100 km/s à la première galaxie et de -100 km/s à la seconde. Quel est le décalage spectral de chacune des galaxies et quelle devrait être leur distance sans tenir compte de leur interaction ? Que valent les erreurs absolue et relative de leur distance ?
Expliquer à quoi correspond le "bonhomme" visible sur la figure ci-dessus (dans l'ellipse rouge).