L'interférométrie

Auteur: Benjamin Mollier

Accroître la résolution (2)

Pour augmenter encore la résolution, il faudrait augmenter encore la taille des miroirs des télescopes. Mais à l'heure actuelle, des miroirs de 100 et a fortiori 300\ m ne sont pas envisageables. Comment faire ? La réponse est surprenante.

Il suffit d'utiliser deux télescopes espacés de 100, 200 ou 300\ m, et de mélanger (on dit faire interférer) la lumière qui en est issue ! Incroyable, mais 2 petits télescopes distants de 300\ m ont le même pouvoir de résolution qu'un unique télescope de 300\ m !

Deux petits valent mieux qu'un grand
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La résolution de deux télescopes espacés de 100\ m est la même qu'un unique télescope de 100\ m de diamètre.
Crédit : B. Mollier

Principe de l'interférométrie (1)

Comment ça marche ?

introductionQuand deux houles se croisent

La lumière peut être vue comme une onde au même titre que la houle. Si je pose une bouée sur l'eau, elle oscille avec la houle.

Houle d'ouest
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La houle fait osciller les deux bouées. Comme elles sont espacées d'est en ouest d'une longueur d'onde, elles oscillent en phase.
Crédit : ASM/B. Mollier

Si deux houles se croisent, à certains endroits les vaguent s'additionnent, et l'amplitude d'oscillation de la bouée augmente. Les crêtes des deux vagues arrivent en même temps, ainsi que les deux creux. On parle d'interférences constructives.

Houle du nord
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La houle fait osciller les deux bouées. Comme elles sont espacées du nord au sud d'une demi-longueur d'onde, elles oscillent en opposition de phase.
Crédit : ASM/B. Mollier

À d'autres endroits, au contraire, à une crête de la première houle correspond un creux de la seconde. Les vagues s'annulent. La bouée n'oscille pas à ces endroits. On parle d'interférences destructives.

Les deux houles se croisent
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Au niveau de la bouée 1, les houles sont en phase. Les amplitudes s'additionnent. La bouée 1 oscille deux fois plus. Au niveau de la bouée 2, les houles sont en opposition de phase. Les amplitudes s'annulent. La bouée 2 n'oscille plus.
Crédit : ASM/B. Mollier

Principe de l'interférométrie (2)

introductionInterférences lumineuses

Si, par un jeu astucieux de miroirs, et/ou de fibres optiques, on arrive à faire parvenir au même endroit la lumière issue des deux télescopes, on créera aussi des interférences.

Interférences lumineuses
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Si on fait passer une onde plane (une "houle") à travers deux trous (ou deux télescopes), on obtient des interférences en sortie.
Crédit : ASM/B. Mollier

Sur l'image issue des deux télescopes, on verra des zones claires, où les lumières s'additionnent. On parle de franges d'interférence claires. Ce sont les zones où les interférences sont constructives.

On verra également des zones sombres, sans lumière, où les interférences sont destructives. On appelle ces zones des franges sombres.

Interférences lumineuses
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Certaines zones sont alternativement blanches et noires. Les "vagues" ont une forte amplitude, les interférences sont constructives. D'autres sont tout le temps grises. Les interférences y sont destructives.
Crédit : ASM/B. Mollier

Principe de l'interférométrie (3)

definitionUne image à un seul télescope

Comment exploiter ces interférences ? Revenons d'abord au cas à un seul télescope pour bien comprendre ce qui se passe. Si la diffraction n'existait pas, on verrait notre étoile comme un tout petit disque (en jaune sur les images). Or, la diffraction est là, et on ne peut pas faire sans. À la place, on obtient une tache, plus grosse que le petit disque.

Si on augmente la taille du télescope, la taille de la tache diminue. Si le télescope est suffisamment grand, la tache d'Airy est alors plus petite que l'image théorique (donnée par l'optique géométrique) de l'étoile. Notre étoile est résolue !

Augmenter la résolution
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Pour accroître la résolution, on augmente le diamètre du télescope jusqu'à ce que la tache de diffraction devienne plus petite que l'image de l'étoile donnée par l'optique géométrique.
Crédit : B. Mollier

Principe de l'interférométrie (4)

definitionPrincipe de l'interférométrie

Passons à deux télescopes. L'image ressemble alors à une grosse tache avec des franges claires et des franges sombres. L'image théorique du disque est perdue au milieu de la frange centrale.

Comment augmenter encore la résolution ?
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Pour accroître la résolution, on écarte les télescopes jusqu'à ce que la largeur de la frange centrale devienne plus petite que l'image de l'étoile donnée par l'optique géométrique.
Crédit : B. Mollier

Si on écarte les télescopes, l'épaisseur des franges diminue. Il y a de plus en plus de franges, et elles sont de plus en plus fines.

Et au bout d'un moment, l'épaisseur de la frange centrale devient plus petite que la taille du disque. L'image de l'étoile déborde de la frange centrale, et bave sur les franges sombres autour. Il y a de la lumière qui apparaît sur ces franges sombres.

Plus on augmente l'écartement des télescopes, plus on diminue l'épaisseur des franges, plus l'étoile déborde sur les côtés, plus il y a de lumière dans les franges sombres.

Quand les franges disparaissent, l'étoile est résolue ! Il existe une relation simple pour trouver le diamètre angulaire de l'étoile en fonction de l'écartement B (on parle de base) des télescopes :

\theta = \frac{\lambda}{B}


L'interférométrie, ça marche ! (1)

Et ça marche ?

exempleLes premières expériences

Oui. La première expérience d'interférométrie stellaire a été réalisée au début du vingtième siècle par Michelson. À l'entrée du télescope de 100 pouces du mont Wilson (photos), il a fixé une poutre sur laquelle étaient installés deux périscopes d'écartement variable.

Le télescope de 100 pouces du Mont Wilson
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Le télescope de 100 pouces (Mont Wilson) au sommet duquel Michelson avait fixé une poutre et deux périscopes. Il effectua avec les premières mesures de diamètre stellaire. C'est aussi sur ce télescope que Hubble observa la fuite des galaxies.
Crédit : B. Mollier
Interféromètre stellaire de Michelson
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L'interféromètre que Michelson installa au sommet du télescope de 100 pouces du Mont Wilson. À ne pas confondre avec l'interféromètre qu'il mit au point avec Morley pour mesurer la vitesse de la lumière.
Crédit : B. Mollier

Il obtenait en sortie de télescope une tache d'Airy barrée de franges d'interférence. En écartant les miroirs sur la poutre, il faisait varier la base de l'interféromètre jusqu'à disparition des franges. Il en déduisit ainsi le diamètre apparent de Bételgeuse et d'une dizaine d'autres étoiles.

La technique tomba cependant dans l'oubli jusqu'aux années 1970, où l'astronome français Antoine Labeyrie réalisa le premier interféromètre à deux télescopes. Sur le plateau de Calern, ainsi qu'à l'observatoire de Meudon, il parvint à obtenir les premières franges d'interférences en utilisant deux petits télescopes. La principale difficulté étant que la lumière issue des deux télescopes doit avoir parcouru exactement la même distance depuis l'étoile.


L'interférométrie, ça marche ! (2)

exempleLes instruments d'aujourd'hui

Peu importe, ça a marché ! La faisabilité était établie, et la voie vers les grands instruments d'aujourd'hui était ouverte.

De nos jours, plusieurs grands interféromètres fonctionnent et donnent de nombreux résultats. Je citerai le VLTI, l'interféromètre européen installé au Chili. Il peut recombiner 4 télescopes de 1,8\ m ou 4 télescopes de 8,2\ m sur des bases allant de 16 à 220\ m. On peut également citer l'interféromètre CHARA, installé sur le mont Wilson (oui, là où Michelson a construit son premier interféromètre stellaire), qui recombine 6 télescopes de 1\ m de diamètre sur des bases allant de 33 à 330\ m. C'est encore actuellement le plus grand interféromètre visible et infrarouge.

Le VLTI
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Au sommet du mont Paranal, on trouve 4 grands télescopes de 8,2\ m de diamètre ainsi que 4 petits télescopes de 1,8\ m (petite boule au premier plan). Ils constituent actuellement le réseau interférométrique le plus puissant.
Crédit : B. Mollier

L'interférométrie, ça marche ! (3)

exempleLes futurs projets

L'avenir est riche en projets. Les plus "simples", sont des interféromètres classiques où on augmenterait la taille des bases. L'interféromètre NPOI de la Navy américaine possédera des bases de 600\ m mais avec des télescopes de 60\ cm seulement.

Plus ambitieux, les projets d'hypertélescopes du même Antoine Labeyrie. Il s'agira de tapisser une cuvette naturelle (un cratère, une vallée...) de miroirs, de suspendre le recombineur à une nacelle au dessus pour obtenir un télescope virtuel de quelques kilomètres de diamètre.

Enfin, des projets d'interféromètres spatiaux sont à l'étude. Ils permettraient de s'affranchir de l'atmosphère, et d'atteindre de très grandes bases (de quelques centaines de mètres à ... jusqu'où on pourra aller).