L'habitabilité ?

Auteur: Martin Turbet

Conditions de l'habitabilité

La vie telle que nous pouvons l'imaginer (et la reconnaitre) à partir de notre expérience terrestre se base sur la chimie du carbone en solution dans l'eau liquide et une évolution par réplication/reproduction. Pour être habitable, une exoplanète doit donc vérifier simultanément quatre critères : Avoir du carbone, de l'eau liquide, une source d'énergie et une surface solide ou liquide.

Du Carbone

I. Elle doit contenir du carbone. Le carbone est présent dans 95% des composés chimiques connus à ce jour et est un élément chimique indispensable à la vie. D'une part, chaque atome de carbone est capable de former quatre liaisons moléculaires. D'autre part, les atomes de carbone forment avec les autres atomes (oxygène, hydrogène, ... mais aussi carbone !) des liaisons dont la stabilité n'est ni trop grande, ni trop faible. Ce sont ces deux propriétés qui sont à l'origine de la richesse de la chimie du carbone, justement appelée chimie "organique". D'autres atomes, comme par exemple le silicium sont eux aussi capables de créer simultanément 4 liaisons. Le silicium forme cependant avec certains atomes (notamment l'Oxygène) des liaisons beaucoup trop stables pour pouvoir permettre une diversité de composés chimiques nécessaire à la vie.

Un exemple : le méthane (CH4)
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On a représenté ici une molécule de CH4. L'atome de Carbone est au centre, en noir. Il est capable de former simultanément 4 liaisons covalentes. Dans la molécule de CH4, l'atome de Carbone forme 4 liaisons avec 4 atomes d'hydrogène différents.
Crédit : Wikipedia

De l'eau liquide

II. Une planète habitable doit avoir de l'eau liquide stable, à sa surface sous forme d'océans ou de lacs, ou dans des nappes d'eau souterraines. Sur Terre, l'eau liquide est indispensable à la vie telle que nous la connaissons. En son absence, il n'existe aucune activité biologique ni reproduction. Certains organismes peuvent survivre desséchés à l'état de "spores", mais leur métabolisme est stoppé. Inversement, presque partout où l'eau liquide est présente, même à grande profondeur sous-terre, ou dans des conditions extrêmement chaudes, acides, salées, etc.. la vie est active. L'eau liquide semble ainsi être la condition nécessaire et suffisante pour la vie terrestre telle que nous la connaissons. En effet, en l'état actuel de nos connaissances, l'eau liquide est le seul solvant permettant une chimie aussi riche que la biochimie. L'eau possède un moment dipolaire élevé. Cela lui permet de former des liaisons hydrogène, ingrédient nécessaire pour 1) stabiliser les molécules d'eau entre elles et 2) stabiliser les macromolécules (briques du vivant). Ensuite, l'eau sous sa forme liquide est stable pour une grande gamme de températures et de pressions, à des températures propices à une chimie relativement rapide.

Une source d'énergie

III. Il faut une source d'énergie (lumineuse, chimique, ...) pour initier la synthèse et le développement des molécules organiques qui constituent la base de la vie.

Une surface stable

IV. Il est difficile de concevoir que la vie puisse se développer sur une planète gazeuse. En l'absence de surface liquide ou solide stable, il faudrait par exemple que la vie profite de gouttelettes nuageuses. Cependant, celles ci étant sans cesse en train de s'évaporer et de se reformer, les conditions semblent insuffisamment stables dans le temps pour que la vie puisse apparaître et se développer.

La molécule d'eau
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L’eau a un moment dipolaire de 1,83 Debye. C'est grâce à leur polarité élevée que les molécules d’eau peuvent s'attirer les unes les autres. L'oxygène, plus électronégatif que l'hydrogène, va être localement chargé négativement. Par conservation de la charge, les atomes d'hydrogène vont être chargés positivement. Ils vont ainsi être capables de former des "liaisons hydrogène" aussi bien avec d'autres molécules d'eau que des macromolécules ...
Crédit : P.E. Zörner et R. Apfelbach

Les types d'habitabilité

Pour la vie telle que nous pouvons l'imaginer, une planète (ou une lune, par extension) sera donc habitable si elle héberge de l'eau liquide. Cependant, les environnements où l'eau liquide est présente n'offrent pas tous les mêmes avantages pour l'apparition de la vie et son évolution. On peut ainsi distinguer quatre catégories de corps habitables.

Catégorie I

D'abord, il y a les planètes/lunes similaires à la Terre, capables de conserver de l'eau liquide à leur surface. Les éventuels êtres vivants peuvent alors utiliser l'énergie lumineuse venue de l'étoile hôte, qui est essentielle car moteur de la photosynthèse. Sur Terre, la quasi-totalité des organismes vivants fonctionnent, directement ou indirectement, grâce au mécanisme de photosynthèse. C'est cette source d'énergie considérable qui a permis à la vie de modifier l'atmosphère et la surface de notre planète.

Catégorie II

Les planètes/lunes de cette catégorie ont un jour possédé des caractéristiques similaires à celle de la Terre (catégorie 1) mais ont par la suite perdu leur eau liquide en surface. Sur ces planètes, la vie a pu apparaître et se développer en surface, et ensuite envahir le sous-sol (la vie est abondante sur Terre jusqu'à parfois plusieurs kilomètres de profondeur). Lorsque la surface est devenue inhabitable, la vie a pu subsister en profondeur là où l'eau liquide est restée présente. C'est peut-être le cas pour Mars, cas qui sera détaillé dans la suite de ce cours.

Catégorie III

Dans cette catégorie, on trouve les planètes/lunes qui possèdent un océan d'eau liquide sous une couche de glace en surface, et en contact direct avec un noyau rocheux. Europe (satellite naturel de Jupiter) et Encelade (autour de Saturne) appartiennent à cette catégorie. Sur ces corps, la température à la surface est inférieure à -100°C, mais l'eau est maintenue liquide en profondeur par l'énergie thermique générée par la dissipation des marées gravitationelles due à l'excentricité de leurs orbites autour de Jupiter et Saturne..

Représentation des planètes/lunes habitables de classes III et IV
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Représentations possibles des objets de catégories III et IV. Le cas 1 correspond à une planète dont la totalité de l'eau est gelée. Le cas 2 à un objet de catégorie IV. Les cas 3 et 4 à des objets de catégorie III.
Crédit : H. Lammer
Diagramme de phase de l'eau
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Le diagramme de phase de l'eau montre qu'à haute pression (jusqu'à 200 MPa), la température du solidus décroit avec la pression. Il existe donc une région du diagramme (ici, en rouge) où l'eau peut rester sous forme liquide jusqu'à -20°C.
Crédit : Adapté de Wikipedia par M. Turbet.

Catégorie IV

Enfin, les planètes/lunes de la catégorie IV ont un océan d'eau liquide souterrain comme pour la catégorie III, mais surmontant une couche épaisse de glace. En effet si la quantité d'eau présente sur ces objets est trop grande, le diagramme de phase de l'eau prédit l'existence d'une couche de glace à haute pression, entre l'océan liquide et le noyau silicaté.

Les corps du Système Solaire faisant partie de cette catégorie sont notamment Ganymede (Jupiter) et Callisto (Jupiter).

La vie sur les corps de catégorie III et IV

Les photons ne pouvant atteindre l'océan souterrain, le mécanisme de la photosynthèse ne peut pas fonctionner.

Sur les objets de catégorie III, une vie éventuelle peut néanmoins profiter de l'énergie chimique et des nutriments apportés par l'activité hydrothermale et volcanique. .

Sur les objets de la catégorie IV, l'eau est en "sandwich" entre deux couche de glace. La vie ne peut bénéficier de l'apport de matériaux et d'énergie en provenance du sous-sol via du volcanisme.

Si la vie n'est présente qu'en sous-surface (catégories II, III et IV), elle peut alors difficilement modifier l'aspect de la surface. Surtout, en l'absence de photosynthèse, son activité biologique sera très limitée et elle ne pourra presque pas influencer la composition chimique d'une éventuelle atmosphère. Sa détection depuis la Terre apparait donc beaucoup plus difficile que pour la catégorie I.

Dans la suite de ce cours, nous nous intéresserons essentiellement aux exoplanètes habitables de la première catégorie car ce sont les seules où la vie peut être détectée à distance.


Du temps

Les organismes complexes qui constituent "la vie" pourraient avoir besoin de beaucoup de temps pour se former et évoluer. Sur Terre, nous ne savons pas quand la vie est apparue. Des traces d'êtres vivants (fossiles, anomalie isotopiques, "stromatolites") semblent présentes dans les plus anciennes roches sédimentaires actuellement disponibles sur Terre. Ces traces sont débattues, mais elles suggèrent que la vie bactérienne était abondante moins d'un milliard d'années après la formation de la Terre. Cependant, plus de 3 milliards d'années ont ensuite été nécessaires pour que les premières formes de vie multicellulaires à l'origine des animaux et des hommes apparaissent.

Pour que la vie puisse évoluer, il faut que la planète hôte soit capable de conserver du carbone, de l'eau liquide et une surface stable pendant plusieurs milliards d'années. Maintenir les conditions de température et de pression propices à l'eau liquide en surface se révèle être le critère le plus contraignant.

Une première limite sur la durée de l'habitabilité d'une planète est donnée par la durée de vie de son étoile hôte, ou plus précisemment par la durée de vie sur la séquence principale (Diagramme Hertzsprung-Russel), pendant laquelle son énergie est créée dans son cœur par fusion nucléaire des noyaux d'hydrogène en noyaux d'hélium. Sa luminosité est alors stable ou évolue doucement. Quand une étoile quitte la séquence principale, la variation importante de son flux lumineux ne permet pas aux planètes environnantes de conserver des conditions stables à leur surface et donc de potentiellement conserver leur habitabilité. Le soleil, par exemple, sortira de la séquence principale dans près de 5 milliards d'années pour entrer dans une phase de géante rouge. Si la Terre est alors toujours à la même distance du Soleil, elle recevra une quantité d'énergie plusieurs milliers de fois plus importante qu'aujourd'hui. La Terre ne sera alors plus habitable ...

La durée de vie d'une étoile de la séquence principale dépend essentiellement de sa masse. Plus une étoile est massive, plus sa durée de vie sera courte, et donc moins elle sera susceptible d'héberger une planète durablement habitable. Les étoiles dont la masse est supérieure à 1,5 fois celle du Soleil sont peu propices à posséder des planètes hébergeant de la vie "développée", car leur durée de vie est inférieure à 4.5 milliards d'années, soit le temps qu'il a fallu sur Terre pour que la vie intelligente apparaisse depuis la formation du Soleil.

Durée de vie des étoiles dans la séquence principale
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Durée de vie d'une étoile dans la séquence principale, fonction "bijective" de sa masse. Rappel de cours. La région hachurée correspond aux étoiles dont la durée de vie est inférieure à 4,5 milliards d'année, durée qu'il a fallut sur Terre pour que la vie intelligente émerge.
Crédit : M. Turbet

De l'eau liquide

Une planète habitable (de catégorie I) doit avoir de l'eau liquide disponible à sa surface. Il faut pour cela qu'elle ait d'abord été capable d'avoir accumulé de l'eau, puis de la conserver à sa surface, et enfin de la garder dans son état liquide.

Avoir de l'eau

L'eau est abondante dans notre galaxie. Il est ainsi très probable que les planètes ont au moment de leur formation de grandes quantités d'eau à disposition. Par la suite, comètes et météorites peuvent alimenter ces mêmes planètes en eau.

Maintenir l'eau liquide

Pour une planète, avoir de l'eau semble être une chose commune. Mais il est bien plus difficile de garder cette eau en phase liquide ... L'eau peut exister essentiellement sous trois formes : solide, liquide et gazeuse. La gamme de températures pour laquelle une planète peut avoir de l'eau liquide stable à sa surface dépend donc principalement de sa pression de surface. Actuellement sur Terre, cette gamme s'étend de 0 à 100°C car la pression au sol est de 1013 hPa.

Remarque : La présence de sels dissous dans l'eau liquide peut permettre d'abaisser sa température de solidification de quelques dizaines de degrés et également d'augmenter sa température d'ébullition

Diagramme de phase de l'eau
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L'eau est stable sous sa forme liquide pour une gamme donnée de valeurs de Températures / Pressions. Sur Terre, l'eau liquide est stable entre 0 et 100 °C.
Crédit : M. Turbet

Garder cette eau

Une planète habitable est susceptible de perdre son eau par des mécanismes d'échappement atmosphérique. En particulier, l'eau liquide à la surface d'une planète habitable est en équilibre avec son atmosphère. La vapeur d'eau injectée peut monter dans la haute atmosphère et être photolisée par le flux UV en provenance de l'étoile, libérant ainsi des atomes d'hydrogène et d'oxygène. Les atomes d'hydrogène, légers, vont s'échapper facilement de la gravité. Si la quantité d'eau dans la haute atmosphère et le flux UV sont suffisament élevés, la planète initialement habitable peut perdre la totalité de son hydrogène et donc de son eau vers l'espace.

Il existe une méthode pour quantifier la perte en eau d'une planète par échappement atmosphérique. Le deutérium D (un proton+un neutron) est un isotope de l'hydrogène H (un proton). Il est présent en quantité à peu près constante depuis la formation de l'Univers. Pourtant, lors du mécanisme d'échappement atmosphérique décrit plus haut, l'hydrogène, plus léger que le deutérium, va s'échapper plus facilement. Au cours du temps, la proportion de deutérium sur une planète qui perd son eau vers l'espace va augmenter. Plus la proportion de deutérium est importante par rapport à celle de l'hydrogène (rapport D/H), plus la perte atmosphérique a été importante. Cependant, le rapport D/H ne renseigne pas sur la quantité d'eau initialement présente.

L'échappement atmosphérique
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Les mécanismes possibles d'échappement atmosphérique. Exemple de la planète Mars.
Crédit : F. Forget

Des températures propices à l'eau liquide et à la vie

Tout corps chaud se refroidit avec le temps en émettant un rayonnement thermique. Au premier ordre, la puissance rayonnée par un corps ne dépend que de sa température et de sa surface.

Flux d'énergie reçue sur Terre
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Moyenne annuelle du flux géothermique et du flux solaire absorbé reçus sur Terre. Le flux géothermique moyen est de 8.10-2 W/m2 alors que le flux solaire absorbé moyen est de 240 W/m2.
Crédit : J.H. Davies et J. Michaelsen

Sur Terre, les conditions de température et de pression sont idéales pour conserver de l'eau liquide à la surface. Pour compenser le refroidissement de la surface terrestre et de ses océans par émission thermique, il faut une source extérieure d'énergie. Par le haut de l'atmosphère, c'est le flux solaire. Par le bas, c'est le flux géothermique. En pratique c'est le flux solaire qui domine par plus de 3 ordres de grandeur les autres sources d'énergie dans le bilan radiatif terrestre.

Le flux stellaire

En premier lieu, c'est donc le flux stellaire reçu par une planète qui va dicter si oui ou non la planète va être capable de garder de l'eau liquide à sa surface. Si la planète est trop proche de son étoile, la température de la planète sera trop élevée pour conserver de l'eau dans son état liquide. Si la planète est trop loin de son étoile, ou voire même si la planète est seule, sans étoile - on l'appelle dans ce cas "planète flottante" -, elle ne recevra alors plus suffisamment d'énergie pour conserver la température minimale nécessaire au maintien d'eau liquide à sa surface.

Note : La photosynthèse - mécanisme essentiel pour la vie - est alimentée par le flux solaire.

Le flux géothermique

Sur Terre, le flux géothermique est en moyenne 3000 fois plus faible que le flux solaire. Pourtant, sur d'autres corps, il peut être beaucoup plus important. Sur Io, un satellite de Jupiter encore volcaniquement actif, le flux géothermique moyen est 25 fois plus élevé que sur Terre. Ceci est dû aux forces de marée gravitationnelle exercées par Jupiter sur Io qui, par friction, réchauffent l'intérieur du satellite. Il est donc possible que, dans certaines configurations, le flux géothermique joue un rôle important dans le bilan radiatif d'une planète/lune et donc sur son habitabilité.

Note : Si une exoplanète reçoit un flux stellaire trop faible pour alimenter la photosynthèse, il est possible que d'autres mécanismes prennent le relais. C'est en particulier le cas de la vie chimiolithotrophique, qui puise son énergie des sources hydrothermales.

L'effet de serre de l'atmosphère

La composition et l'épaisseur de l'atmosphère d'une planète jouent également un rôle prépondérant dans son bilan radiatif. En particulier, la présence de gaz à effet de serre contribue généralement à l'augmentation de la température de surface d'une planète. Un gaz à effet de serre a en effet la propriété particulière d'être quasi-transparent dans le domaine du visible (là où la majorité du flux solaire est émis), mais très absorbant dans le domaine de l'infrarouge (qui correspond au domaine du rayonnement thermique de la planète). Les gaz à effet de serre, chauffés par cette absorption, émettent eux aussi un rayonnement thermique dont une partie est captée par la surface, contribuant à son réchauffement. (Plus d'informations dans ce cours)

Sur Terre, les principaux gaz à effet de serre sont l'eau (H_2O), le dioxyde de carbone (CO_2), le méthane (CH_4), ou encore l'ozone (O_3). Néanmoins, notre expérience dans le Système Solaire prouve qu'il existe en fait toute une variété de compositions atmosphériques possibles : l'atmosphère de Jupiter est composée essentiellement de dihydrogène (H_2) et d'hélium (He) ; celle de Vénus essentiellement de CO_2 ...

Ce qu'il faut retenir des gaz à effet de serre : Une planète très proche de son étoile doit posséder peu de gaz à effets de serre pour conserver de l'eau liquide à sa surface alors qu'une planète très éloignée doit en avoir en grandes quantités !