Cette partie est le plus complexe des chapitres sur les éclipses. Dans cette partie du cours nous étudions les périodes de récurrence des éclipses de Soleil. Nous voyons qu'il existe plusieurs périodes de récurrence, notamment le Saros. Nous expliquons pourquoi cette période est réellement une bonne période de récurrence en analysant les principales perturbations lunaires et en introduisant la notion de révolution anomalistique. Nous définissons ensuite les suites d'éclipses séparées par cette période de temps. Ce sont des séries longues de Saros. Nous commentons et expliquons leur évolution : évolution des types d'éclipses, évolution des magnitudes, évolution des zones de visibilité sur Terre.
Enfin nous étudions les éclipses anciennes et leur utilisation pour déterminer le ralentissement de la révolution terrestre.
Dans cette première section, nous définissons les périodes de révolutions qui permettent de trouver les périodes de récurrence des éclipses de Soleil. Nous introduisons la notion de Saros. La partie "pour en savoir plus" décrit la méthode de décomposition d'un réel en fractions continues et comment l'on retrouve la période du Saros, elle donne également d'autres périodes de récurrence connues sous le nom de Saros chinois. Nous donnons ensuite l'origine du terme erroné de Saros et les caractéristiques des éclipses contenues dans une séries de Saros.
Nous avons vu que les éclipses de Soleil et de Lune se produisent lorsque les syzygies (la conjonction et l'opposition de la Lune) ont lieu avec le soleil apparent au voisinage de la direction de la ligne des nœuds de l'orbite lunaire. Le retour d'une même phase lunaire est lié à la révolution synodique « L » (29,5305888532 jours) de la Lune. Le retour du Soleil dans la direction de la ligne des nœuds au moment des syzygies est équivalent au retour de la Lune près de ses nœuds, ce retour est lié à la révolution draconitique « G » (27,212220817 jours) de la Lune. Une période de récurrence des éclipses doit donc être un multiple commun à ces deux périodes.
On doit donc déterminer deux nombres x et y tel que x.G=y.L ou encore tel que x/y=L/G.
Les valeurs possibles pour x et y se calculent en utilisant la méthode de décomposition des réels en fractions continues.
Le rapport L/G est égal à 1,085195841, il s'écrit sous forme réduite : (1;11,1,2,1,4,3,5,1). Ce qui donne pour x et y les solutions suivantes :
x | 1 | 12 | 13 | 38 | 51 | 242 | 777 | 4127 |
y | 1 | 11 | 12 | 35 | 47 | 223 | 716 | 3803 |
Le cycle correspondant à la solution 242/223, soit 223 lunaisons, est connu à tort sous le nom de saros. 223 lunaisons sont égales à 6585,321314 jours et 242 révolutions draconitiques sont égales à 6585,357436 jours, la différence 242L - 223L est de 0,03612 jour, soit 52 minutes.
On exprime parfois cette période en années et en jours, mais cela n'est pas recommandé, car 6 585 jours donnent 18 ans, plus 10 ou 11 ou 12 jours, cela dépend du nombre d'années bissextiles comprises dans les 18 années (5,4 ou 3), il est préférable de garder cette expression en jours.
La principale inégalité dans la longitude de la Lune, l'équation du centre, est fonction de sa distance angulaire au périgée de son orbite, cette distance angulaire porte le nom d'anomalie. L'intervalle de temps qui sépare en moyenne le passage de la Lune par la direction de son périgée, s'appelle la révolution anomalistique. Sa valeur moyenne est A = 27,554549878 jours. Il est très important de constater que le saros est également un multiple de cette révolution anomalistique, ainsi après un saros, non seulement on retrouve la même configuration Soleil Terre Lune mais la plus grosse inégalité dans la longitude de la Lune a presque la même valeur, donc on retrouve pratiquement le même écart entre la Lune vraie et la Lune moyenne. C'est principalement pour cette raison que le saros est une période de récurrence des éclipses. En effet le saros est construit à partir des révolutions synodique et draconitique moyennes de la Lune. Or l'écart entre la révolution synodique vraie et la révolution synodique moyenne de la Lune peut atteindre plus ou moins sept heures, or en sept heures la position de la Lune varie en moyenne de 3,5° en longitude (si l'on tient compte des perturbations cet écart peut atteindre 7,5°). Or comme les diamètres apparents de la Lune et du Soleil sont de l'ordre du demi-degré, il est totalement impossible de prédire une éclipse du Soleil uniquement avec la connaissance de la révolution synodique moyenne, seule la connaissance de la lunaison vraie permet cette prédiction. Donc si une période de récurrence utilise les révolutions synodique et draconitique moyennes, il faut également que cette période ramène la Lune vraie au même endroit par rapport à la Lune moyenne, donc que la période de récurrence soit aussi un multiple de la période de la plus grosse inégalité dans la longitude de la Lune.
On a 239 A = 6585,537419 jours et 1 saros = 239 A - 0,0079 A, au bout d'un saros, la Lune se retrouve donc à 2,8° en amont sur sa position orbitale.
Le saros ramène également le Soleil près des noeuds, il doit donc être aussi un multiple de l'année des éclipses E (346,62 jours) et l'on a bien 19 E = 6585,78 jours, l'écart avec le saros n'est que de 0,46 jour. Cette condition, moins stricte que le retour de la Lune à son noeud entraîne une légère évolution des éclipses d'un saros à l'autre.
Les inégalités dans le mouvement du soleil apparent sont également fonction de sa position angulaire par rapport à son périgée (périhélie de la Terre), cet angle porte le nom d'anomalie. La période de révolution qui ramène le soleil apparent à son périgée (ou la Terre à son périhélie), s'appelle révolution anomalistique ou année anomalistique et elle est égale à : a = 365,2596 jours.
Or 18 a = 6574,67 jours, l'écart avec le saros est de 10,65 jours, donc au bout d'un saros le soleil apparent ne s'est déplacé que de 10° sur son orbite par rapport à sa position un saros plus tôt, ce qui correspond à un décalage de 10° vers l'est parmi les constellations zodiacales.
La décomposition d'un réel en fractions continues a été créée par Laplace en 1768, son but était d'obtenir une approximation d'un réel positif r sous la forme d'un quotient de deux entiers. La méthode consiste à décomposer le réel en partie entière et en partie décimale : r = a0 + u1, u1 étant inférieur à 1, on prend son inverse et on continue comme précédemment en itérant avec les restes successifs :
En remplaçant les ui par leurs expressions, le réel se présente sous la forme de fractions emboîtées qui forme la fraction continue :
On obtient des approximations successives de r au moyen de rapports d'entiers en tronquant le développement de la fraction à des ordres plus ou moins élevés que l'on appelle les réduites d'ordre n :
On passe de l'ordre n et n-1 à l'ordre n+1 par la relation de récurrence du second ordre suivante :
Ces formules de récurrence permettant ce calcul furent découvertes par le mathématicien Indien Bhascara II au début du XIIIe siècle, soit 5 siècles avant que le mathématicien Anglais John Wallis ne les redécouvre en Europe.
représentation du nombre
On a = 3,141592654
Sa forme réduite d'ordre 4 s'écrit : (3;7,15,1,293)
Les approximations successives sont : 3, 22/7, 333/106, 355/113, 104348/33215.
Comme nous venons de le voir, pour qu'une période soit une période de récurrence des éclipses, il faut non seulement qu'elle soit un multiple des révolutions synodique (L) et draconitique (G) de la Lune, mais il faut également qu'elle soit un multiple de la révolution anomalistique (A) de la Lune. On doit donc trouver trois nombres x, y et z tels que x.L ~ y.G ~ z.A. Le tableau suivant donne une série de solutions.
jours | x | y | z | Durée (ans) |
---|---|---|---|---|
223 | 242 | 239 | 18,03 | |
6585+ | 0,321 | 0,357 | 0,537 | |
2148 | 2331 | 2302 | 173,7 | |
63430+ | 1,705 | 1,684 | 0,574 | |
2371 | 2573 | 2541 | 191,7 | |
70016+ | 1,026 | 1,042 | 0,112 |
La première ligne correspond au saros, les deux solutions suivantes ramènent bien la lunaison et la Lune près de son noeud, mais décalent beaucoup plus la Lune par rapport à son périgée (14,8° pour la seconde et 11,9° pour la troisième). Elles sont donc moins stables que le saros.
On peut également chercher des solutions sous la forme x.L ~ 2.y.G/2 ~ z.A. Ces solutions font intervenir la demi-révolution draconitique, cela correspond donc à des récurrences avec alternance de noeud. Le tableau suivant donne une série de solutions.
jours | x | y | z | Durée (ans) |
---|---|---|---|---|
135 | 146,5 | 145 | 10,92 | |
3986+ | 0,629 | 0,590 | 9,41 | |
1074 | 1165,5 | 1151 | 86,83 | |
31715+ | 0,852 | 0,842 | 0,287 | |
1297 | 1407,5 | 1390 | 104,86 | |
38300+ | 1,174 | 1,199 | 0,824 |
La première solution que l'on appelle «saros chinois» car elle était connue des chinois, n'est pas très stable à cause de l'écart en anomalie. La seconde et la dernière solution sont meilleures car les écarts en anomalie sont beaucoup plus faibles.
Ainsi pour la seconde solution : 1074.L - 1165,5.G = 0,009 jour = 13 minutes et 1074.L - 1151.A = 0,56 jour, au bout d'un cycle, la Lune se retrouve à 7,4° en aval sur sa position orbitale.
Et pour la dernière solution : 1297.L - 1407,5.G = -0,027 jour = -39 minutes et 1297.L - 1390.A = 0,35 jour, au bout d'un cycle, la Lune se retrouve à 4,5° en aval sur sa position orbitale.
Edmont Halley (1656 - 1742) publia en 1961 dans les Philosophical Transactions un mémoire dans lequel il proposait de corriger un passage de l'Histoire naturelle de Pline l'Ancien (23 - 79 ap. J.-C.) où il était question de la période de récurrence des éclipses (Histoire Naturelle, II, 56). Le texte est le suivant : " Il est sûr que les éclipses se reproduisent dans le même ordre au bout de 222 mois ". Sur d'autres manuscrits on trouve les valeurs de 213 et 293 mois. Halley corrige à juste titre la valeur de 222 mois en 223 mois.
En consultant une encyclopédie byzantine du Xe siècle, la Souda, il trouva la mention du mot saros dans le texte suivant " Saros, mesure et nombre chez les Chaldéens. Un saros contient 222 mois lunaires qui font 18 ans et 6 mois. 120 saros correspondent à 2222 années ". Croyant à tort que la Souda dépendait ici de Pline, Halley en conclut que les Chaldéens appelaient saros la période de 223 ans de Pline.
Le terme sar en sumérien a le sens d'univers, et en temps que nombre, il représente la quantité 3600. Dans le sens de 3 600 ans le terme saros est utilisé par Berossos (~290 avant J.-C.) et après lui par Abydenus (deux siècles avant J.-C.) puis par Synkellos en l'an 800 après J.-C.
La Souda nomme saros une période de 222 mois lunaires et dit explicitement qu'elle correspond à 18 ans et 6 mois avec une année de 12 mois lunaires. La période portant le nom de saros chez les Chaldéens n'a donc rien à voir avec les éclipses.
L'erreur de Halley a été dénoncée par l'astronome Guillaume Le Gentil de La Galaisière (1725 - 1792) dans deux articles très critiques publiés en 1756, alors que Montucla refait l'erreur d'Halley dans son Histoire des mathématiques (1758). D'autres astronomes et historiens essaieront en vain de corriger l'erreur d'Halley : Ideler en 1825, Tannery en 1893, Schiaparelli en 1908, Bigourdan en 1911 et Pannekoek en 1917.
Cette erreur sera amplifiée par la légende de Thalès de Milet (VIe siècle avant J.-C.) rapportait par Hérodote (484 à 425 avant J.-C.) dans l'Enquête (p. 174) Thalès avait prédit aux Ioniens un obscurcissement du Soleil " pour l'année dans laquelle elle se produisit ". Cette éclipse aurait permis de mettre fin à une guerre entre les Mèdes et les Lydiens.
Le saros comporte 38 saisons d'éclipses, revenant en moyenne toutes les 5 ou 6 lunaisons. À chaque saison d'éclipses il y a au moins deux éclipses et parfois trois éclipses. En moyenne un saros comprend 84 éclipses, réparties en 42 éclipses de Soleil et 42 éclipses de Lune.
Les 42 éclipses de Lune se répartissent de la manière suivante : 14 éclipses par la pénombre, 28 éclipses par l'ombre dont 14 éclipses partielles et 14 éclipses totales.
Les 42 éclipses de Soleil se répartissent de la manière suivante : 14 éclipses partielles et 28 éclipses centrales.
Ce nombre d'éclipses par saros est une valeur moyenne, en réalité il existe des saros riches pouvant atteindre jusqu'à 94 éclipses (47 de chaque) et des saros pauvres comportant 78 éclipses.
Les canons d'éclipses construits à l'IMCCE comportent 28512 éclipses sur une période de 5999 ans, soit en moyenne 4,7528 éclipses par an et 85,7 éclipses par saros (valeur que l'on peut arrondir à 86). Cette valeur est légèrement plus forte que la valeur moyenne (84). On retrouve le saros moyen du canon d'Oppolzer, construit sur une période plus courte, qui est de 86 éclipses.