Les surfaces des corps sans atmosphère sont de véritables champs de bataille subissant en permanence:
Tous ces processus sont exogènes, c’est-à-dire ayant une cause externe à l’objet qu’ils affectent. Lentement mais sûrement ils érodent les surfaces mais sont aussi à l’origine de la formation des atmosphères extrêmement tenues, appelées exosphères, que l’on trouve autour de Mercure, de la Lune, de la plupart des satellites glacés et même des anneaux de Saturne.
Les surfaces sans atmosphère sont constamment bombardées par des grains météoritique de diamètre <1 mm. Ce bombardement micro-météoritique ne contribue pas à augmenter le volume de régolithe (le régolithe lunaire ne grandit que de 1 mm/106 ans et, en raison de leur faible gravité, les astéroïdes perdent même constamment une partie de leur régolithe) mais il en modifie durablement les propriétés et la distribution.
Les impacts micro-météoritiques pulvérisent progressivement les premiers millimètres du sol, réduisant la taille des particules à la surface. Ce phénomène de fragmentation (ou «comminution» en anglais) est, en partie, compensé par un phénomène d’agglutination: lorsque les impacts sont suffisamment rapides, certains matériaux du sol fondent et, en refroidissant, se soudent (formant des sphérules de verre sur la Lune par exemple) ou soudent entre eux des fragments de roches et de minéraux donnant naissance à des particules plus grosses. Certains matériaux sont même vaporisés sous l’effet des micro-impacts avant d’être redéposés à la surface. Le régolithe lunaire est constitué d’environ 30% d'agglutinates, agrégats dont la taille varie de quelques micromètres à quelques millimètres et présentant à leur surface des nanoparticules de fer intégrées lors de la vaporisation puis re-condensation de minéraux ferrifères (olivine et pyroxène notamment). L’érosion spatiale sur la Lune est donc synonyme d’un obscurcissement (l’albédo diminue) et d’un rougissement de la surface avec le temps. Le régolithe lunaire est dit mature lorsque les processus de fragmentation et d’agglutination se compensent ; la taille des grains est alors ~60 μm. Un régolithe immature est constitué de grains plus gros et d’une proportion réduite d’agglutinates.
Dans le même ordre d'idée, sur les surfaces glacées, le bombardement micro-météoritique participe à la recristallisation de la glace lorsqu’elle est amorphe (c’est-à-dire sans arrangement précis, par opposition à la glace cristalline qui présente une structure héxagonale) à la surface par un processus de recuit (« annealing » en anglais) et lutte donc contre le travail d’amorphisation mené par les rayons solaires UV et les particules ionisées énergétiques (voir Radiations d’origine solaire et cosmique).
Enfin, sur les astéroïdes où la vitesse d’échappement est faible, le bombardement micro-météoritique, aidé par d’autres processus tels que le « sputtering» (voir Radiations d’origine solaire et cosmique), contribue à l’éjection et à la perte des particules les plus petites. Ainsi s’attend-on à trouver un sol plus grossier à la surface des plus petits astéroïdes.
Le bombardement micro-météoritique modifie également la distribution des composés des régolithes. Les premiers millimètres du sol lunaire sont en permanence « labourés » par des micro-impacts ce qui a pour effet d’homogénéiser la composition verticale (en profondeur) du régolite. On parle d’"impact gardening" (de l’anglais « garden », jardiner). Ce processus est néanmoins très lent – il faut au moins 100 000 ans pour entièrement retourner et mélanger le premier centimètre du sol lunaire. Les couches plus profondes du régolithe ne sont retournées qu’à l’occasion d’impacts plus importants donc plus rarement.
La distribution horizontale des composés du régolite est, quant à elle, contrôlée par les lois de retombée balistique des éjectas autour du cratère principal (voir Processus de cratérisation des surfaces) et varie peu sous l’effet du bombardement micro-météoritique. Les micro-impacts peuvent néanmoins, localement, apporter de nouveaux éléments à la composition de surface.
Les surfaces sans atmosphère sont également soumises à un bombardement permanent par des particules plus ou moins énergétiques en premier lieu desquelles des photons X et ultra-violet (UV) solaires, des ions issus du vent solaire et des rayons cosmiques provenant de notre Galaxie ou d’au-delà. Ces radiations modifient chimiquement, physiquement et structurellement les surfaces sur une profondeur allant de quelques micromètres à quelques mètres, en fonction de l’énergie des particules.
Le vent solaire est un flux de plasma essentiellement composé de particules d’hydrogène et d’hélium ionisées dont l’énergie est modérée (0.3-3 keV/nucléon). Ce flux varie, en température et en vitesse, avec l’activité du Soleil. Lors d’éruptions solaires et d’éjection de masse coronale, des rafales de particules solaires particulièrement énergétiques (1-100 MeV/nucléon) balayent notre système stellaire.
Les corps pourvus d’un champ magnétique propre (Mercure, Terre, Ganymède) sont protégés en grande partie des radiations, leur magnétosphère déviant les particules chargées le long des lignes de champ et agissant ainsi comme un bouclier. A l’inverse, les magnétosphères des géantes gazeuses, en piégeant et accélérant les particules chargées, produisent d'intenses ceintures de rayonnement et soumettent les satellites qui leur sont les plus proches à de grandes doses de radiations. En particulier, Io et Europe, autour de Jupiter, reçoivent des doses 100 à 1000 fois plus élevées que la Lune.
Les principaux effets du bombardement par les particules solaires et cosmiques sur les surfaces sont les suivants :
Sur ce dernier point, notons que les surfaces glacées sont particulièrement sensibles aux radiations car elles sont trois fois moins résistantes que les surfaces silicatées et plus volatiles (c’est-à-dire susceptibles de changer de phase). Rappelons que la glace d’eau peut exister sous plusieurs formes: différents états cristallins (en fonction essentiellement de la température) ou amorphes. A basses températures, le bombardement par les particules UV et les ions peut modifier la structure cristalline de la glace en surface, voire même entrainer son amorphisation. Europe, qui baigne dans magnétosphère jovienne et est, par conséquent, soumise à des taux de radiation particulièrement élevés, présente une surface jeune mais largement amorphisée alors que la phase cristalline est stable à la surface de Callisto, satellite près de 3 fois plus éloignée de Jupiter. Ganymède, qui se trouve entre Europe et Callisto et est, de surcroît, protégé par un champ magnétique propre, présente de la glace amorphe aux pôles (là où les lignes de champs sont ouvertes) et cristalline ailleurs.
Les corps sans atmosphère peuvent connaitre des variations de températures considérables au cours d’une journée. Plus l’inertie de la surface (c’est-à-dire sa capacité à stocker la chaleur) est faible et plus la rotation du corps est lente, plus le contraste jour/huit est important. Mercure, en particulier, subit les chocs thermiques les plus violents du système solaire : la température à sa surface peut varier de -170°C à 430°C.
Sur les surfaces silicatés du Système Solaire, la différence de réponse (dilatation/contraction) des minéraux des roches à l’alternance jour/nuit induit des contraintes mécaniques (surpression) pouvant déboucher sur la fissuration progressive voire l’éclatement de certaines roches. Plus les changements de température sont prononcés et rapides, plus ce processus de désagrégation, appelé thermoclastie, est efficace. En outre, les roches dont la taille excède la profondeur de peau diurne (la profondeur du sol qui subit les fluctuations diurnes du flux solaire - en général quelques centimètres) sont soumises à un fort gradient de température qui peut les fragiliser à long terme.
Sur les surfaces glacées du système solaire, en raison de la grande volatilité de la glace d’eau (c’est-à-dire de sa capacité à changer de phase), le cycle jour/nuit peut s’accompagner d’un phénomène de migration/ségrégation thermique.
Les surfaces des satellites glacés sont généralement constituées d’un mélange, aux proportions variables, de glace et d’un composé optiquement sombre (matière organique, soufrée ou silicatée). Les régions les plus riches en glace étant aussi les plus brillantes, elles sont moins efficacement chauffées par le Soleil (elles réfléchissent une grande partie du flux solaire) et le taux de sublimation de la glace y est bas. Inversement, dans les régions les plus sombres, le taux de sublimation de la glace peut être élevé. Ce déséquilibre permet un transfert de la glace des régions sombres et chaudes vers régions brillantes et froides. Ce transfert prend fin quand toute la glace du sol des régions sombres a disparu (laissant un sol encore plus sombre) et s’est redéposé dans les régions plus claires (accentuant alors leur brillance). Au passage, il est fréquent qu’une partie des volatiles se perde dans l’espace ou vienne enrichir une exosphère.
Le phénomène de migration/ségrégation thermique a pour effet de renforcer les contrastes d’albédo à la surface et, en séparant la glace de la matière sombre, va à l’encontre des processus de bombardements (météoritiques ou par des particules de haute énergie) qui tendent à homogénéiser le régolithe. Ce phénomène peut être local (exemple de Callisto) ou global (exemple de Japet). Sur Japet, même si l’origine de la matière sombre est vraisemblablement exogénique (en provenance de Phoebe), il est fort probable que le phénomène de migration/ségrégation participe à accentuer le contraste entre les basses et moyennes latitudes, très sombres, de la face avant du satellite et les pôles, particulièrement brillants : le jour, la glace des régions équatoriales se sublime et migre vers les pôles, plus froids, ou elle se re-condense. Sur Callisto, les crêtes des cratères des régions équatoriales sont recouvertes d’un manteau blanc résultant sans doute de la migration de la glace du fond des dépressions, généralement plus chaudes car doublement chauffées, à la fois par le flux solaire direct et par le flux solaire réfléchi sur les parois. Ce processus de modification du paysage par sublimation est aussi à l’œuvre sur Mars où ni l’eau ni le CO2 ne sont stables à la surface.
L’appliquette "Migration" vise à évaluer l’efficacité du phénomène de migration/ségrégation par rapport à d’autres processus d’érosion spatiale sur les principaux satellites glacés du Système Solaire.
En raison de la grande volatilité de la glace, les surfaces glacées sans atmosphère sont soumises à un phénomène de migration/ségrégation thermique. L’appliquette ci-dessous vise à évaluer l’efficacité de ce phénomène par rapport à d’autres processus d’érosion spatiale sur les principaux satellites glacés du Système Solaire. Elle s’inspire du travail de thèse de J.R. Spencer: The surfaces of Europa, Ganymède, and Callisto- An investigation using Voyager IRIS Thermal Infrared Specta, Ph.D dissertation by John R. Spencer, 1999.
Lisez l’essentiel à savoir ci-dessous et essayez de répondre aux questions.
L'appliquette Migration
Le taux instantané de sublimation de la glace peut, en première approximation, s’exprimer de la façon suivante : où est la densité volumique de la glace (), est la masse molaire de l'eau (), est la constante universelle des gaz parfaits () et , la température instantanée (en K).
s’obtient en égalisant le flux solaire (entrant) et le flux émis par la surface (sortant) : où est la constante de Stefan-Boltzmann (), est la constante solaire (c’est-à-dire la puissance reçue du Soleil par unité de surface normale aux rayons solaires à la distance héliocentrique de 1 UA) (), est la distance héliocentrique en UA du corps glacé, est est l’albédo de la surface et est l’angle d’illumination du Soleil à la surface (l’angle entre la normale à la surface et la direction de l’ensoleillement). Il dépend de la latitude, de l’heure locale et éventuellement de la saison. Ici on considère que .
est la pression de vapeur saturante de la glace en Pascal, c’est-à-dire la pression à laquelle la phase gazeuse de l’eau est à l’équilibre avec sa phase solide à la température . Dans la gamme de températures des satellites glacés du système solaire (130-150 K), il a été établi semi-empiriquement que : .
Mise en jambe : par une analyse dimensionnelle, retrouvez la dimension de ?
Comparez l’amplitude du phénomène de ségrégation thermique entre les satellites galiléens (), les satellites saturniens () et ceux d’Uranus (). Vous vous placerez à l’Equateur, à midi, en été et prendrez un albédo de pour la glace équatoriale.
Tracez le taux de sublimation lié au phénomène de ségrégation thermique en fonction de la latitude et de l’albédo de la glace pour un satellite galiléen. Comparez son intensité sur Europa (), Ganymède () et Callisto ().
À quelle(s) latitude(s) ce phénomène est-il le plus actif ?
Dans le système de Jupiter, la vitesse de « laboure » des régolithes par impacts micro-météoritiques est de quelques mm/an. L’intensité du phénomène de « sputtering », quant à elle, décroit avec la distance à Jupiter : mm/an sur Europe, mm/an sur Ganymède et mm/an sur Callisto. Que peut-on en déduire sur l’efficacité du phénomène de ségrégation thermique sur Europe, Ganymède et Callisto ? Discutez.
pages_planetologie-surface/applimigration.html
où est la dimension d'une distance et celle d'un temps.
Le taux de sublimation est si rapide que ni le bombardement micro-météoritique, ni le « ion sputtering » ne peuvent rivaliser aux basses latitudes de Callisto, Ganymède et, peut être, d’Europa. Aux hautes latitudes d’Europa, en revanche, ce phénomène est a priori négligeable.