Le milieu interstellaire
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- Introduction au Milieu Interstellaire

Réservoirs d'énergie : champ magnétique

Auteurs: Sylvie Cabrit, Cecilia Pinto
Carte galactique de polarisation de la lumière stellaire par les poussières
Polarisationlumieretoiles.png
Cette carte de polarisation des étoiles par les poussières interstellaires suggère la présence d'une composante organisée du champ à grande échelle dans le plan Galactique, ainsi qu'une composante plus aléatoire.
Crédit : D.S. Mathewson & L.V. Ford, Mem. R. astr. Soc. 1970

Effet sur le MIS

Le champ magnétique représente une forme d'énergie et de pression très importante pour le milieu interstellaire. Aux grandes échelles, la pression magnétique et la pression des rayons cosmiques s'ajoutent à la pression cinétique turbulente pour contrebalancer l'attraction gravitationnelle de la matière du disque galactique et déterminer la distribution verticale du gaz. Aux plus petites échelles, le champ magnétique joue un rôle majeur dans la structuration, la fragmentation et l'effondrement des nuages interstellaires qui aboutit à la formation des étoiles et des disques protoplanétaires.

Mesures du champ magnétique

Il existe différentes méthodes de mesure de l'intensité et/ou de la direction du champ magnétique interstellaire. Leur domaine d'utilisation varie selon la phase du MIS (ionisée ou neutre) et l'échelle spatiale que l'on souhaite sonder. Les 4 principales sont :

  1. La rotation Faraday
  2. L’émission du rayonnement synchrotron diffus galactique
  3. La polarisation de la lumière par les grains de poussière (en transmission ou en émission)
  4. L’effet Zeeman dans les raies spectrales

Nous décrivons d’abord brièvement le principe de chaque méthode, puis les résultats obtenus sur le champ magnétique du MIS dans la Galaxie.

Rotation Faraday

Dans le milieu diffus ionisé, le module du champ magnétique le long de la ligne de visée est estimé par la mesure de l'angle de rotation du plan de polarisation d'une onde radio polarisée linéairement émise par une source d’arrière plan, pulsars ou sources extragalactiques. Cette rotation est induite dans un milieu magnétisé par la présence d'électrons libres qui rend le milieu diélectrique. L’angle de rotation est proportionnel à \lambda^2 et au produit de la densité électronique et de la composante longitudinale du champ, intégré le long de la ligne de visée vers la source. Par des mesures d’angle à plusieurs longueurs d’onde, on obtient ce produit (appelé « mesure de rotation » ou RM). D’autre part, l’intégrale de la densité électronique seule peut aussi être mesurée grâce à son effet dispersif sur le signal des pulsars : les ondes de différentes fréquences ne se propagent plus exactement à la même vitesse, ce qui produit un décalage du temps d’arrivée de l’impulsion en fonction de la fréquence. De ces 2 mesures on peut alors déduire la valeur du champ longitudinal moyen sur la ligne de visée.

Emission synchrotron des électrons relativistes

Les électrons relativistes qui composent environ 1% des rayons cosmiques émettent dans le champ magnétique galactique un rayonnement synchrotron dans le domaine radio centimétrique. Il est polarisé linéairement dans la direction perpendiculaire au champ. On peut donc connaître l'orientation du champ transverse (voir plus haut). Si on connaît (ou suppose) le flux d'électrons relativistes, on peut aussi déduire le module du champ magnétique transverse ou total, à partir de l’intensité polarisée ou totale du signal synchrotron. Notons que seule l’intensité totale est sensible à la composante aléatoire du champ. Le développement de modèles sophistiqués de la propagation des électrons cosmiques dans la Galaxie a donné une nouvelle assise à cette méthode.

Polarisation de la lumière par les grains de poussière

On observe une faible polarisation linéaire de la lumière des étoiles, corrélée avec leur extinction due aux poussières. Cette anisotropie est attribuée à la présence de grains chargés non sphériques. Sous l’effet de leur rotation, qui induit un moment magnétique, les grains allongés ont tendance à s’orienter avec leur grand axe perpendiculaire au champ magnétique, comme des pinces à linge sur un fil (voir ce schéma). Ils se comportent comme de petites antennes qui absorbent (et émettent) plus efficacement les ondes polarisées le long de leur grand axe, c’est à dire perpendiculairement au champ magnétique. En conséquence, ils transmettent mieux la composante de lumière stellaire polarisée dans la direction parallèle au champ. On peut ainsi construire des cartes de l'orientation du champ magnétique projeté dans le plan du ciel.

On peut également mesurer la direction de polarisation (perpendiculaire au champ magnétique) de l'émission thermique intrinsèque des poussières dans le continu millimétrique et submillimétrique. A cause des limites de sensibilité, cette méthode est surtout employée pour cartographier le champ dans les nuages moléculaires très denses. Mais le satellite Planck a pu tout récemment cartographier la polarisation de l’émission des poussières dans le MIS plus diffus à l’échelle de la Galaxie.

Schempolarisation.png
Schéma illustrant la polarisation de la lumière stellaire transmise parallèle à la composante du champ dans le plan du ciel (à gauche) et la polarisation de l'émission des poussières perpendiculaire à ce même champ (à droite).
Crédit : Présentation de Alyssa Goodman à la conférence Protostar & Planets (1998) traduite en français.

Effet Zeeman

L'effet Zeeman offre la façon la plus directe de mesurer l'intensité du champ magnétique interstellaire. Il s'agit de la séparation sous l'effet d'un champ magnétique des niveaux d'énergie d'un atome ou d'une molécule (de moment magnétique non nul) en des sous-niveaux équidistants. Cela entraine la division d'une raie spectrale en différentes composantes, dont le déplacement par rapport à la fréquence centrale de la raie est proportionnel à l'intensité du champ magnétique, par un facteur qui dépend de la transition. Dans le cas de l'atome d'hydrogène et de molécules comme OH et CN ce déplacement est d’environ 1,4 Hz par microG. Sauf dans les masers où le champ est intense, on ne peut le mesurer qu’en comparant une paire de composantes (σ) polarisées circulairement en sens inverse l'une de l'autre. L'ajustement de la différence des profils permet d’en déduire la composante du champ le long de la ligne de visée. Notons cependant que le déplacement en fréquence étant sensible au signe de B, il sera considérablement diminué si le champ se renverse dans le lobe d'observation. Il est donc important d’utiliser des lobes d’antenne les plus petits possibles pour éviter cet effet de moyenne. Cette technique a permis de mesurer le champ magnétique du MIS neutre dans un vaste domaine de densités : avec HI en émission dans les nuages neutres diffus (1-100 cm-3), avec HI en absorption et OH vers les nuages moléculaires (100 à 104 cm-3), et avec CN dans les coeurs denses sites de formation stellaire (>105 cm-3).

Résultats des mesures de champ magnétique dans la Galaxie

Aux grandes échelles, la combinaison de la rotation de Faraday, de la polarisation optique et de l’émission radio synchrotron a été utilisée pour contraindre la structure du champ magnétique galactique. Elle montre la présence dans le disque d'un champ ordonné orienté sensiblement le long des bras spiraux (comme observé dans les galaxies spirales externes), de valeur environ 1,5 μG au voisinage solaire, et qui change de sens à 5,5 kpc du centre galactique. La polarisation optique des étoiles proches est par contre dominée par une composante désordonnée du champ d'intensité plus élevée d'environ 5 μG. Les modèles les plus récents indiquent aussi la présence d’un champ magnétique toroidal dans le halo, et d’une composante poloidale évasée hors du plan de la Galaxie. La géométrie 3D proposée est illustrée dans la Figure ci-contre.

Modèle du champ magnétique de la Galaxie
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Reconstruction synthétique de la structure 3D du champ magnétique Galactique obtenue par ajustement des mesures de rotation Faraday et d'émission synchrotron polarisée.
Crédit : Farrar G. R. et al. 2015, The 34th International Cosmic Ray Conference.

Aux échelles plus petites des nuages interstellaires et des condensations moléculaires, les méthodes de mesure employées sont l'effet Zeeman (pour le module du champ longitudinal) et la polarisation de l'émission des poussières (pour la direction du champ)

Une compilation récente des mesures Zeeman est présentée dans la Figure ci-contre. Une analyse Bayesienne prenant en compte les limites supérieures indique que le champ maximum dans le gaz neutre reste à peu près constant ~ 10 μG jusqu’à une densité de 300 cm-3. Cela suggère que les nuages HI diffus se condensent préférentiellement le long des tubes de champ magnétique, sans comprimer le champ. Au dessus de 300 cm-3, le champ augmente avec la densité du milieu selon une loi de la forme B \propto n^{2/3}. Cette pente de 2/3 diffère de la pente 1/2 des études précédentes, où la statistique était plus limitée. Elle suggère que la gravité domine la pression magnétique lors de la formation des coeurs denses dans les nuages moléculaires. Cela est cohérent avec les valeurs de B mesurées qui, après correction statistique des effets de projection, restent inférieures en moyenne d’un facteur 2 à la valeur critique nécessaire pour contrecarrer l' autogravité, B_{crit}/\mu G = N_H/2.6 \times 10^{20} {\rm cm}^{-2} . Cependant une large dispersion est observée d'un nuage à l'autre.

Mesures du champ B dans les nuages denses
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Intensité moyenne du champ magnétique le long de la ligne de visée déduite de mesures de l'effet Zeeman dans les nuages atomiques HI et moléculaires, en fonction de la densité du gaz. La courbe bleue montre la valeur maximum la plus probable, corrigée des effets de projection.
Crédit : Crutcher, R.M. 2012, Ann. Rev. Astron. Astrophys.

L’étude de la polarisation de l’émission des poussières a fait un grand bond en avant ces dernières années grâce aux progrès des télescopes et interféromètres submillimétriques, et au satellite Planck qui a cartographié la polarisation du continu submillimétrique dans l'ensemble du ciel avec une très grande précision. Les cartes dans les nuages moléculaires (par exemple le Taureau) révèlent une distribution de lignes de champ assez uniforme et cohérente qui suggère la présence d'une composante à grande échelle d’intensité suffisante pour resister à la turbulence. Les filaments denses de matière semblent préférentiellement parallèles ou perpendiculaires au champ, ce qui suggère que ce dernier joue un rôle dans leur formation ou leur confinement.

Champ magnétique dans le Taureau avec Planck
Planck-polar-Taurus.png
Orientation du champ magnétique (en courbes grises) et densité colonne (en couleurs) dans le nuage moléculaire du Taureau. La direction du champ est déterminée par la polarisation de l'émission des poussières cartographiée par le satellite Planck.
Crédit : Planck Collaboration XXXV, 2015 Astronomy & Astrophysics, in press.

L’orientation globale du champ est souvent préservée jusque dans les coeurs denses (0.1 pc) où se forment les étoiles. Une composante aléatoire turbulente est également présente, mais généralement plus faible que la composante organisée. A petite échelle une géométrie en « sablier » est parfois observée suggérant que le champ est pincé et comprimé par la contraction gravitationnelle (voir ci-dessous).

Carte du champ magnétique dans un coeur dense
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Orientation du champ magnétique dans le plan du ciel (en rouge) déduite de la polarisation de l'émission des poussières (intensité totale en couleurs) dans la condensation NGC1333-IRAS4A qui abrite une protoétoile.
Crédit : Girart, Rao et Marrone 2006, Science
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