Introduction au Milieu Interstellaire

Auteurs: Cecilia Pinto, Sylvie Cabrit

Présentation Générale

Le vaste espace qui s'étend entre les étoiles n'est pas vide, mais rempli d'un gaz poussiéreux que l'on appelle le milieu interstellaire (ou MIS). Essentiellement invisible à l'oeil nu, sauf sous la forme de bandes sombres à travers la Voie Lactée, le MIS lorsqu'il est éclairé ou choqué par les étoiles produit les images parmi les plus belles et spectaculaires que nous connaissions, comme par exemple cette image du Hubble Space Telecope (HST) de la nébuleuse de la Carène.

La "Montagne Mystique" dans la Nébuleuse de la Carène
Mystic_Mountain_HST.jpg
Image optique de la 'Montagne Mystique', un nuage dense de matière interstellaire situé dans la Nébuleuse de la Carène, irradié et érodé de l'extérieur par un amas d'étoiles massives très chaudes ; cette image obtenue par le HST combine le rayonnement de plusieurs atomes (oxygène ionisé en bleu, hydrogène et azote ionisé en vert, soufre ionisé en rouge) qui soulignent le gaz ionisé à la surface du nuage et dans la nébuleuse diffuse qui l'entoure. Les zones sombres, trop denses pour laisser pénétrer le rayonnement, apparaissent en silhouette sur ce fond lumineux. Aux pointes de ces "piliers", deux nouvelles étoiles viennent de se former qui éjectent des jets bipolaires de matière.
Crédit : NASA/ESA/M. Livio & Hubble 20th Anniversary Team (STScI)

En plus de sa beauté intrinsèque, le MIS est une composante essentielle des galaxies puisque c'est la "matrice" à partir de laquelle se forment les nouvelles étoiles, et leurs cortèges de planètes. Comprendre la structure et l'évolution du MIS est donc un enjeu majeur pour comprendre l'évolution globale de la matière dans notre Univers et répondre à plusieurs questions fondamentales telles que :

Comprendre le MIS est également essentiel pour comprendre l'origine de la vie : la vie repose sur l'existence d'éléments "lourds" (carbone, calcium, phosphore, etc...) produits par nucléosynthèse au coeur des étoiles et libérés par les vents stellaires, les nébuleuses planétaires et les explosions de supernova. Au fur et à mesure que les générations stellaires se succèdent, le milieu interstellaire s'enrichit en ces éléments lourds contenus sous forme de gaz, de grains de poussière, et de manteaux de glaces moléculaires à la surface de ces grains. Ils sont incorporés à la prochaine génération d'étoiles et, par sédimentation et agglomération des grains dans le disque circumstellaire, ils permettent la formation de planète rocheuses comme la nôtre. De plus, malgré les conditions interstellaires très hostiles (températures et densités très faibles, flux ultraviolet destructeur) une chimie étonnament riche est observée dans le MIS, avec la formation d'eau (avec une abondance qui atteint 10-4 de l'hydrogène) et de molécules organiques ou azotées parfois "complexes" et dont certaines constituent des briques de base du vivant. Ces molécules sont préservées à l'état de glaces dans les comètes ; lors de la phase de bombardement intensif qui a suivi la formation de notre Système Solaire, elles pourraient peut-être avoir contribué à alimenter nos océans, voire favoriser l'apparition de la vie sur Terre. Ce scenario est illustré dans la figure ci-dessous.

Cycle chimique du MIS et apparition de la vie
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Le cycle d'enrichissement chimique de la matière cosmique, depuis le MIS jusqu'aux planètes (via les impacts cométaires).
Crédit : Bill Saxton, NRAO/AUI/NSF

Dans notre Galaxie, la masse du MIS représente aujourd'hui environ 15% de la masse sous forme d'étoiles. Cette fraction est plus élevée dans les galaxies jeunes où la formation stellaire commence tout juste. Dans ce cours nous étudierons le MIS galactique, qui est le mieux connu. La physique fondamentale du MIS dans les autres galaxies est similaire, même si les conditions d'irradiation et les abondances chimiques y diffèrent. Après un rappel sur la structure de notre Galaxie, nous verrons les différentes Phases en température et densité sous lesquelles le MIS se rencontre, le "cycle évolutif du MIS" qui permet au gaz de passer d'une phase à l'autre en formant des étoiles, et enfin les différentes sources et réservoirs d'énergie du MIS qui contrôlent ce cycle.


Rappel : structure de notre galaxie

Notre Galaxie, la Voie Lactée, est un ensemble auto-gravitant constitué d'un disque tournant autour d'un bulbe central, bien visibles par exemple sur l'image ci-contre, et entouré d'un halo sphérique. Le bulbe est très lumineux, avec un rayon de l'ordre de 2 kpc, et abrite en son coeur un trou noir géant dont la masse serait environ 4x106 masses solaires. Le disque s'étend sur 15 kpc de rayon, pour une épaisseur de quelques centaines de parsecs. Il est parcouru d'ondes de densité qui sont responsables de sa structure en bras spiraux (une vue de face synthétique est présentée ci-dessous. Le Soleil s'y trouve à 8.5 kpc du Centre galactique et tourne autour de lui à une vitesse de l'ordre de 200 km.s-1. Le halo s'étend bien au delà des limites du disque Galactique et il est peu brillant. Il contient très peu d'étoiles, dont les amas globulaires, très âgés. En revanche, l'observation de la courbe de rotation montre qu'il abrite la plus grande partie de la matière gravitante non lumineuse (la matière noire) de la Galaxie.

Les constituants du disque et du halo présentent des propriétés très différentes. Les étoiles du halo sont vieilles, peu lumineuses et dépourvues d'éléments autres que l'hydrogène ou l'hélium (ce sont les étoiles de population II). De plus, le halo est pratiquement dépourvu de gaz et de poussières. Au contraire, les étoiles du disque ont une gamme d'âge et de luminosité bien plus étendue, et les étoiles y sont riches en éléments plus lourds que l'hydrogène et l'hélium (étoiles de population I). On y trouve en particulier des associations OB, formées d'astres jeunes, massifs et lumineux. En effet, le disque contient un milieu interstellaire très riche, grâce auquel la formation stellaire continue d'être active.

La masse totale de la Galaxie est estimée à 1011 masses solaires à l'intérieur d'un rayon de 15 kpc. Cette masse est répartie entre la masse des étoiles : environ 5x1010 masses solaires, la masse de la matière noire : environ 5x1010 masses solaires, et la masse du milieu interstellaire, environ 7x109 masses solaires. La masse du MIS dans notre Galaxie représente donc environ 15% de la masse sous forme d'étoiles. Cette fraction est plus élevée dans les galaxies jeunes où la formation stellaire commence tout juste.

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La Galaxie vue par le satellite COBE : bulbe en blanc, disque en jaune, poussières en orange.
Crédit : NASA
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Reconstruction synthétique de la structure spirale de notre Galaxie vue de face
Crédit : NASA JPL-Caltech

Composition du MIS

Phase Gazeuse

Le gaz interstellaire est composé principalement d'hydrogène (70% en masse, 90% en nombre d'atomes) et d'hélium (28% en masse, 9% en nombre d'atomes). Ces éléments persistent depuis le Big Bang, avec une petite réduction de l'Hydrogène (de 75 % à 70% ) et une augmentation de l'Hélium (de 24 % à 28% ) dues à la transformation d'un élément en l'autre par la nucléosynthèse stellaire. Ce processus de nucléosynthèse stellaire produit également les atomes plus lourds (C, N, O, S, ....) qui représentent environ 2% en masse et 1% en nombre d'atomes du milieu interstellaire. Les abondances des élément lourds diminuent avec la distance au Centre Galactique, les abondances au voisinage du Soleil étant environ la moitié de celles atteintes dans la région du Centre Galactique.

Dans les zones protégées du rayonnement ultraviolet des étoiles, les atomes s'assemblent en molécules de tailles variées, depuis les molécules simples diatomiques et triatomiques (principalement H2, CO, et H2O) jusqu'à des espèces organiques complexes, dont certaines se retrouvent dans les comètes. On a identifié actuellement plus de 200 molécules interstellaires dans le MIS. On a en en particulier détecté du glycolaldéhyde, un sucre nécessaire à la synthèse de l'ARN (Acide RiboNucléique). Cela suggère qu’une partie de la composition de notre système solaire, des océans terrestres, et peut-être des briques de base de la vie, pourrait être directement héritée de la chimie interstellaire. Cette question constitue un domaine nouveau et très actif de recherche, l'astrochimie du MIS, à la frontière avec l'astrobiologie.

La composition du gaz interstellaire, ainsi que ses conditions physiques, sont déterminées grâce à des observations spectroscopiques de raies d'absorption et d'émission, atomiques ou moléculaires, dont les principales seront présentées en détail dans la suite du cours.

Les grains interstellaires

Le MIS contient aussi une phase solide : les grains interstellaires, qui contiennent environ 1% de la masse du gaz. Leur présence est décelable par leur effet d'extinction (bandes sombres) et diffusion (nébuleuses par réflexion) de la lumière stellaire, ainsi que par leur rayonnement thermique dans le domaine infrarouge. L’analyse de ces phénomènes en fonction de la longueur d'onde permet de contraindre leur distribution en taille et leur type de matériau (cristallin ou amorphe, aromatique..). On en déduit que les grains présentent un vaste continuum de tailles, allant de quelques dizaines d'Angstrom pour les petits agrégats jusqu'à une fraction de μm, voire plusieurs μm dans les régions très denses. Les matériaux principaux qui composent la poussière interstellaire sont les éléments réfractaires comme les silicates et le carbone. Les grains jouent un rôle fondamental dans le MIS à plusieurs points de vue :

Dans l'histogramme ci-dessous on compare les abondances mesurées dans le soleil (utilisées couramment comme abondances standard de référence) avec les abondances du gaz ionisé dans la nébuleuse d'Orion. Cela permet d’en déduire, par différence, la composition de la poussière sur la ligne de visée:

(X/H)_{pouss}= (X/H)_{total}-(X/H)_{gaz}X/H est l'abondance de l'élément par rapport à l'hydrogène (en nombre d'atomes).

Istocomposoleil.png
Crédit : Franck Le Petit

Dans la figure ci-dessous, une analyse similaire est présentée à partir de spectres en absorption sur la ligne de visée vers l'étoile Zeta Oph. On voit que plus la température de condensation (solidification) d'un élément est élevée, c'est-à-dire plus l'élément est "réfractaire", et plus son abondance dans la phase gazeuse est faible par rapport au standard des abondances solaires. Cela indique que lorsque les élements lourds synthétisés par les étoiles sont expulsés lors de la phase géante rouge, les atomes les plus réfractaires se condensent rapidement sous forme de grains lorsque la température passe sous 1500 K. Ils restent ensuite piégés sous cette forme dans le MIS diffus. Par exemple, seulement 1% du fer est sous forme gazeuse dans le MIS.

Déplétion des éléments dans le MIS diffus
abun-zetaOph-savagesembach96ARAA.png
Rapports (en échelle log10) entre les abondances en phase gazeuse sur la ligne de visée vers Zeta Oph et les abondances "standard" dans le soleil, en fonction de la température de condensation de chaque atome (celle au dessous de laquelle il se condense sous forme d'aggrégat solide). L'anticorrélation observée indique que les éléments déplétés sont piégés dans des grains condensés dans les enveloppes d'étoiles AGB.
Crédit : Savage & Sembach (1996, ARAA)

Phases du MIS

Une caractéristique fondamentale du MIS est sa forte inhomogénéité. En effet, on y rencontre des valeurs très variées de densité et de température, de moins de 1 à plus de 108 particules par cm3 et de 10 K à plusieurs millions de degrés. Cependant, on peut schématiquement considérer que le gaz s'y structure sous la forme d'un petit nombre de composantes ou « phases » correspondant aux divers états stables possibles de la matière interstellaire, et distinguées par l'état d'ionisation qu'y prend l'hydrogène (ionisé, atomique = neutre, moléculaire), et par la température typique d'équilibre (chaud > 105 K, tiède, froid < 100 K). Ces phases coexistent entre elles, donnant au MIS son aspect sculpté, chamarré et structuré à toutes les échelles (voir Figure ci-contre).

La structure multi-phase du MIS dans Cygnus X
herschelcygnus.jpg
Image du satellite Herschel de Cygnus X, une région d'intense activité de formation d'étoiles massives où plusieurs phases du MIS co-existent. L'image superpose l'émission de la poussière à 70 μm (bleu), 160 μm (vert) et 250 μm (rouge). Les régions chaudes apparaissent donc plus bleues et les froides, plus rouges. Les régions HII ionisées par les jeunes étoiles massives apparaissent comme des bulles blanc-bleuté. Les filaments rouges et jaunes tracent de la matière moléculaire dense et froide, dont certains abritent des étoiles en formation (globules rouges très compacts). La région sombre au centre de l'image a été chauffée et balayée par les vents et le rayonnement d'un amas d'étoiles OB (non visible ici) de sorte qu'elle est dans une phase diffuse et tiède du MIS qui émet peu dans les bandes spectrales utilisées ici.
Crédit : ESA/PACS/SPIRE/ Martin Hennemann & Frédérique Motte.

remarqueRemarque

Afin de détecter les différentes phases du milieu interstellaire, il faut combiner des observations à différentes longueurs d'onde qui permettent de sonder du gaz sur un vaste domaine de température et de densité. Ces observations et leurs résultats seront présentés plus en détail dans le chapitre Détection du milieu interstellaire à différentes longueurs d'onde. Le tableau ci-dessous résume les propriétés typiques déduites pour chaque phase, ainsi que les principaux traceurs.

Phases du milieu interstellaire
PhaseDensitéTempératureMasseTraceur principal
cm-3KM_soleil
Milieu ionisé (HII) chaud = HIM (Hot Ionized Medium)0.005 3 105108Rayons X, OVI
Milieu ionisé (HII) tiède = WIM (Warm Ionized Medium)0.68000109Hα, NII, SII, radio
Milieu atomique (HI) tiède = WNM (Warm Neutral Medium)0.550002X109HI 21 cm, C+, O
Milieu atomique (HI) froid = CNM (Cold Neutral Medium)301002X109HI 21 cm (abs)
Nuage moléculaire (H2) = GMC (Giant Molecular Cloud)100-10810-100109CO, H2, etc. (em et abs)
Régions HII0.3-1041045x107Hα, NII, SII, radio

On note que le gaz neutre atomique représente la composante la plus importante en masse (NB : Ici les masses totales sont incertaines, et reflètent plutôt les proportions entre les différentes composantes dans quelques kpc autour du Soleil). Dans le milieu interstellaire "diffus" (n < 100 cm-3) l'auto-gravité est négligeable et comme le montre le tableau, les phases sont en approximatif équilibre de pression entre elles (nT ~ 4000 K cm-3) malgré leurs forts contrastes de densité et de température. Par contre la phase moléculaire froide et dense, qui se condense sur des échelles < 50 pc, est autogravitante et sous cet effet se comprime pour atteindre une pression plus élevée. Enfin, au sein des nuages moléculaires, on trouve les régions HII, bulles de gaz ionisées par le rayonnement UV d’une ou plusieurs jeunes étoiles OB, où le gaz tiède est localement en surpression par rapport au nuage environnant.


Le cycle du milieu interstellaire

Auteur: Sylvie Cabrit

Le cycle de transformation du milieu interstellaire

Le milieu interstellaire est un milieu dynamique en perpétuelle transformation, où le gaz circule rapidement (< 107 ans) d’une phase thermique à une autre, via un « cycle » évolutif illustré dans la figure ci-dessous.

La première moitié du cycle (du haut en bas de la figure dans le sens inverse des aiguilles d'une montre) est une séquence de condensation depuis la phase diffuse et tiède vers le gaz moléculaire froid et dense où vont se former les étoiles.

la deuxième moitié du cycle (de bas en haut dans le sens inverse des aiguilles d'une montre) est une séquence de ré-expansion où les effets de rétroaction radiative et mécanique des étoiles ramènent le gaz dans la phase diffuse.

attentionLe rôle central du MIS dans la formation stellaire

Les mécanismes qui induisent ou influencent le cycle du MIS déterminent le taux de conversion du gaz en étoiles, qui est un paramètre fondamental pour l’évolution des galaxies. Cela en fait un sujet de recherche très important en astrophysique. Plusieurs mécanismes de base qui entretiennent le cycle du MIS ont été identifiés (indiqués en rouge sur la Figure ci-dessous) et bien que plusieurs aspects posent encore question, ils permettent d'en comprendre les grandes étapes, que nous décrivons brièvement ci-dessous :

Le Cycle du MIS
LifeCycle-MIS.png
Crédit : Copyleft © 2013 Steward Observatory Radio Astronomy Laboratory

Cycle de condensation du MIS

  1. La majorité de la masse du MIS se trouve dans la phase tiède diffuse, neutre ou ionisée (WIM ou WNM)
  2. Sous l'effet d'une compression, par exemple passage d'une onde de choc, le gaz subit une instabilité thermique (voir ci-dessous) qui le fait passer dans la phase atomique froide (100 K, CNM), pour former un nuage HI plus dense.
  3. Dans les zones abritées du flux UV interstellaire, l'hydrogène devient majoritairement moléculaire et il se forme un nuage moléculaire géant (GMC). Le rayonnement très efficace des molécules de CO refroidit le gaz, qui se condense sous l'effet de la pression ambiante et de l'auto-gravité.
  4. Sous l'effet combiné de la turbulence et du champ magnétique, une structure filamentaire / fractale s'établit et des petits globules (appelés "coeurs denses") se forment dont certains deviennent instables par leur propre gravité et s’effondrent pour former des étoiles.

Cycle de ré-expansion du MIS

Une fois formées, les étoiles ont une forte rétroaction sur le MIS via plusieurs agents qui agissent en parallèle, et ont tendance à faire retourner le gaz de la phase dense à la phase diffuse tiède :

Par l'effet cumulatif du rayonnement UV et des ondes de chocs, les étoiles massives finissent par détruire leur nuage moléculaire parent en quelques millions d'années ; le cycle du MIS est alors bouclé et un nouveau cycle peut commencer.


Régulation de la formation stellaire

Auto-régulation de la formation stellaire

La rétroaction des étoiles a globalement un effet auto-régulateur sur la formation stellaire : l’injection d’énergie à toutes les échelles, par le rayonnement et les ondes de choc produites par les vents stellaires, contribue à alimenter les mouvements turbulents du gaz qui s’opposent à la gravité : cela pourrait expliquer pourquoi seulement quelques % de la masse d’un GMC sont convertis en étoiles avant que le nuage ne soit détruit par les étoiles massives. Un autre facteur régulateur possible est le champ magnétique, qui semble être suffisamment fort pour réguler la formation des filaments denses où se forment préférentiellement les étoiles (voir la partie sur les mesures de Champ magnétique).

Formation stellaire induite

En parallèle à cet effet global régulateur, on a récemment observé (en particulier grâce au satellite Herschel) que la compression induite par les ondes de choc autour des régions HII et des restes de supernovae peut localement avoir une rétroaction positive et au contraire favoriser la formation de nouvelles étoiles massives. C'est le phénomène de « formation stellaire induite ». Un exemple est présenté dans la figure ci-contre. L'efficacité globale de ce phénomène, et la distribution en masse des étoiles qui en résulte, sont encore un sujet de recherche très ouvert.

Formation stellaire induite
RCW120_LR.jpg
Images de la jeune région HII RCW120 obtenues par le satellite Herschel (bleu : 100 μm, vert : 160 μm, rouge : 250 μm) ; à l'interface entre la bulle de gaz ionisé (en bleu) et le nuage ambiant (jaune-orangé), une protoétoile massive s'est formée, qui apparaît ici comme un point lumineux blanc sur la droite de la bulle.
Crédit : ESA, PACS & SPIRE Consortia, A. Zavagno pour les programmes clefs Herschel HOBYS et Evolution of Interstellar Dust

L'instabilité thermique du MIS

La plupart du milieu interstellaire de notre Galaxie se trouve dans la phase diffuse tiède, atomique ou ionisée, à 5000-10000 K (WNM et WIM) ; sous l'effet d'une compression extérieure le gaz va directement passer dans la phase atomique froide à 100 K (CNM) sans passer par des stades de température intermédiaire, car ces derniers sont instables. L'origine de cette instabilitié thermique est la forme de la courbe qui donne la pression d'équilibre du gaz P = nkT_equ en fonction de sa densité n. Ici T_equ est la température d'équilibre où le taux de refroidissement radiatif compense le taux de chauffage du gaz (dû principalement à l'effet photoélectrique des photons UV interstellaires sur les grains). La figure ci-contre illustre la courbe d'équilibre de P/k en fonction de n pour des conditions d'irradiation typiques de l'environnement solaire. On voit qu'elle est composée de deux "branches" stables de dérivée dP/dnpositive : celle à basse densité est le WIM (température d'environ 10 000 K, refroidissement principalement par la raie Lyman α et les raies de recombinaison) ; celle à haute densité est le CNM (température 100 K, refroidissement dominé par les raies hyperfines de O et C+). Entre les deux il y a une portion de courbe (en rouge) autour de n ~ 0.6-4 cm-3 où la dérivée dP/dn est négative. Elle correspond à un équilibre instable qui ne peut être rencontré durablement : si un élément de gaz situé au point 2 est perturbé pour se trouver en très légère sous-pression par rapport à son environnement (P < Pext), il va être comprimé par le milieu extérieur et augmenter sa densité, mais en raison de la pente négative de la courbe P(n), sa pression interne va encore diminuer : il continuera donc d'être comprimé et à se densifier jusqu'à atteindre un nouvel équilibre (stable) au point 3 où P = Pext. De même s'il est en légère surpression par rapport à l'environnement (P > Pext), il subira une expansion qui diminuera sa densité ; sa pression d'équilibre (donnée par la courbe rouge) augmentera alors, et l'expansion se poursuivra jusqu'à ce qu'il passe sur la branche gauche de la courbe et atteigne un équilibre stable, de plus faible densité et de plus haute température, au point 1. On voit que dès que la pression ambiante dépasse environ 3000 K cm-3, le gaz passera rapidement du Milieu tiède (branche stable de gauche) au Milieu atomique HI plus dense à 100 K (branche stable de droite) via cette instabilité thermique. Ce changement de phase initie le début du cycle de condensation du MIS (voir ci-dessus) qui mène à la formation stellaire.

origine de l'instabilité thermique dans le milieu atomique
thermal-instab-annotated.jpg
Pression thermique P/k à l'équilibre en fonction de la densité dans le milieu atomique, pour des conditions d'irradiation typiques de l'environnement solaire. Les parties stables et instables de la courbe sont indiquées (voir texte).
Crédit : Adapté d'après Wolfire et al. 1995, ApJ

Sources et réservoirs

Auteurs: Sylvie Cabrit, Cecilia Pinto

Sources et réservoirs d'énergie

Le MIS est un milieu dissipatif semi-ouvert ; en même temps qu'il perd de l'énergie par émission de rayonnement à diverses longueurs d'onde qui s’échappent dans l'environnement extragalactique (voir le chapitre correspondant), il reçoit aussi de l'énergie par plusieurs sources « externes » qui le maintiennent en état de semi-équilibre et régulent son cycle de condensation et de transformation :

Une partie de cette énergie externe est transférée dans d'autres réservoirs d'énergie interne et de pression, qui communiquent et échangent entre eux :

Une description et compréhension exhaustive du milieu interstellaire nécessite donc de prendre en compte les interactions et transferts entre tous ces différents sources et réservoirs d'énergie, qui détermineront sa structuration en densité et son évolution thermique et chimique.

Dans le voisinage solaire, les densités d'énergie sous forme de photons, de rayonnement cosmique, de champ magnétique et des mouvements du milieu interstellaire sont comparables, de l'ordre de 0.5-1 eV cm-3.

Densités d'énergie dans le voisinage solaire
Forme d'énergieDensité d'énergie (eV cm-3)
rayonnement cosmologique (CMB : T=2.7 K)0.265
rayonnement de la poussière0.31
rayonnement stellaire0.54
énergie cinétique thermique0.49
énergie cinétique turbulente0.22
énergie magnétique0.89
énergie des rayons cosmiques0.8

remarqueRemarque

La coïncidence entre ces différentes formes d'énergie, appelée « équipartition », n'est pas fortuite, mais résulte des transferts et des interactions efficaces entre ces composantes.

Par exemple, si la densité d'énergie des rayons cosmiques était beaucoup plus élevée, le milieu interstellaire magnétisé ne serait pas capable de les confiner et ils pourraient s'échapper librement de la Galaxie. La densité d'énergie des rayons cosmiques piégés dans la Galaxie tend donc vers l'équipartition avec l’énergie magnétique.

De la même façon, les densités d'énergie magnétique et cinétique sont comparables très probablement à cause du couplage entre le champ magnétique et les mouvements du fluide (le champ magnétique est amplifié par effet dynamo et par compression dans les ondes de choc).

Enfin, si la densité d'énergie du rayonnement interstellaire n'était pas du même ordre que celle du gaz, la pression de rayonnement qui agit sur la poussière comprimerait le gaz jusqu’à ce que leurs pressions deviennent comparables. Notons cependant que dans les nuages denses où le rayonnement stellaire pénètre peu, l’énergie sous forme de rayonnement devient négligeable par rapport aux autres réservoirs.

Notons aussi que si l’énergie thermique est du même ordre que l’énergie turbulente dans la « bulle locale » chaude où se situe le soleil, la grande majorité du gaz interstellaire est dans la situation inverse où la turbulence l’emporte sur l’agitation thermique : les mouvements turbulents y sont supersoniques, et contribuent de façon majeure à la pression.


Réservoirs d'énergie : champ de rayonnement

Des photons de toutes énergies baignent le milieu interstellaire. Ils ont pour principale origine les étoiles, les grains, et le fond cosmologique. Ce champ de rayonnement est une forme d'énergie importante. Mais son intensité et sa distribution spectrale dépendent fortement de l'endroit où l'on se trouve : distance aux étoiles chaudes, et quantité de poussière sur la ligne de visée vers la source (mesurée par l'extinction AV en magnitudes).

Rayonnement stellaire (UV, VIS, IR)

Les étoiles créent un rayonnement interstellaire diffus dans la Galaxie. Le rayonnement ultraviolet (UV) est dominé par la contribution des étoiles massives, très chaudes (de type O-B), la lumière visible est associée à des étoiles de type A, tandis que les étoiles de type K-M fournissent une contribution infrarouge. Le champ ultraviolet interstellaire est celui qui a l'impact le plus important sur le MIS : Au dessus de 13.6 eV il possède l'énergie suffisante pour photoioniser l'hydrogène (voire l'Helium) et créer des régions de gaz ionisé (régions HII); cependant, du fait de la forte abondance de H et He, ce rayonnement est entièrement absorbé dans une région limitée(appelée Sphère de Stromgren) autour des étoiles massives, de taille inférieure à quelques pc. Par contre, le rayonnement UV non ionisant, d'énergie inférieure à 13.6 eV, est moins absorbé et peut pénétrer plus loin dans le milieu jusqu'à rejoindre les régions d'interface appellée régions de photodissociation (PDR) entre régions HII et nuage moléculaire parent. Là, il y photoexcite et photodissocie les molécules, photoionise les nombreux éléments lourds, et chauffe le milieu par effet photoélectrique sur les grains de poussière. L'intensité du champ de rayonnement ultraviolet dans le voisinage solaire à été estimée par Habing et vaut \nu u_{\nu}4x10-14 erg cm-3 à h\nu=12.4 eV. L'intégration du spectre UV de Habing de 6 à 13 eV donne une densité d'énergie u_{Hab}(6-13eV)5.29x10-14 erg cm-3. Pour décrire l'intensité du champ FUV incident sur une PDR on utilise souvent un facteur d'échelle G_0 qui est défini comme le rapport de la densité de rayonnement de 6 à 13 eV à celle de Habing : G_0 =u(6-13eV)/u_{Hab}(6-13eV). Des estimations récentes donnent pour le champ de rayonnement interstellaire moyen la valeur G_0=1.7. Dans des régions de photodissociation typiques comme la nébuleuse de la Tête de Cheval on trouve G_0=100, alors que des valeurs de G_0=104-105 sont atteintes au sein des régions de formation stellaire.

L'interface entre la région HII M17 et le nuage moléculaire adjacent
M17interface.png
Image infrarouge obtenue avec le télescope NTT de l'Observatoire Européen Austral. La région HII M17, dans la partie gauche de l'image, est ionisée par un amas d'étoiles chaudes. L'émission diffuse est associée au continuum du gas ionisé. Le nuage moléculaire adjacent, à droite de l'image, apparaît ici comme une masse sombre qui absorbe la lumière de la plupart des étoiles situées derrière. A l'interface entre les deux, le nuage moléculaire est photodissocié par le rayonnement FUV et s'evapore vers la gauche en formant une région de photodissociation très fragmentée.
Crédit : SOFI,NTT,ESO
Conversions du système CGS au système SI
GrandeurUnité CGSDéfinitionSI
longueurcentimètre 1 cm=10-2 m
massegramme 1 g=10-3 kg
tempsseconde 1 seconde=1 s
forcedyne 1 dyn =1 g cm s-2=10-5 N
énergieerg 1 erg = 1 g cm2 s-2=10-7 J
pressionbarye 1 Ba = 1 dyn/cm2=10-1 Pa

Rayonnement de la poussière (IR)

Le champ de rayonnement infrarouge provient essentiellement des grains de poussière. Ils sont très efficaces à absorber les photons ultraviolets, qui les chauffent, et ils se refroidissent en rayonnant dans les régions du spectre de l'infrarouge et du submillimétrique; Les grains de poussière transforment donc une partie de l'énergie stellaire ultraviolette en énergie infrarouge et en énergie thermique des grains; le reste étant transformé en énergie thermique et cinétique du gaz (effet photo-électrique, évaporation). A l'équilibre thermique, les grains atteignent des températures typiques de 5-50 K dans le MIS; ils peuvent atteindre 100-1000 K à proximité immédiate des étoiles jeunes (disques et enveloppes circumstellaires). Le spectre d'émission est alors continu et déterminé par la température et la composition des grains mais il peut être décrit avec une bonne approximation comme un spectre de corps noir (voir le cours " Fenêtres sur l'Univers"). Cette émission thermique représente en moyenne les 2/3 de la puissance irradiée par la poussière dans le MIS. Le 3ème tiers de cette puissance est rayonné dans l'infrarouge moyen dans des bandes d'émission discrètes (3.3, 6.2, 7.7, 8.6, 11.2, 12.7 μm) qui sont attribués à des hydrocarbures aromatiques polycycliques (PAH = Polycyclic Aromatic Hydrocarbons). Il s'agit de macro-molécules constituées d'atomes de carbone et d'hydrogène, avec une structure planaire composée de cellules hexagonales benzéniques. Ces macro-molécules sont trop petites pour être à l'équilibre thermique et rayonnent de façon "impulsionnelle" suite à l'absorption de chaque photon UV.

Rayonnement cosmologique

Le rayonnement cosmologique est essentiellement isotrope et présente un spectre de corps noir à la température de 2.7 K. Ce rayonnement millimétrique et submillimétrique apporte un chauffage et une source d'excitation minimum au MIS, important en particulier pour la population des niveaux rotationnels de basse énergie des molécules.

La figure ci-dessous montre un exemple des différentes contributions au champ de rayonnement, tel que prédit au voisinage d'une étoile B sans atténuation sur la ligne de visée.

Exemple de champ de rayonnement interstellaire (code PDR de Meudon + code DUSTEM IAS)
spectreISM.png
Crédit : Manuel Gonzalez

Réservoirs d'énergie : champ magnétique

Effet sur le MIS

Le champ magnétique représente une forme d'énergie et de pression très importante pour le milieu interstellaire. Aux grandes échelles, la pression magnétique et la pression des rayons cosmiques s'ajoutent à la pression cinétique turbulente pour contrebalancer l'attraction gravitationnelle de la matière du disque galactique et déterminer la distribution verticale du gaz. Aux plus petites échelles, le champ magnétique joue un rôle majeur dans la structuration, la fragmentation et l'effondrement des nuages interstellaires qui aboutit à la formation des étoiles et des disques protoplanétaires.

Mesures du champ magnétique

Il existe différentes méthodes de mesure de l'intensité et/ou de la direction du champ magnétique interstellaire. Leur domaine d'utilisation varie selon la phase du MIS (ionisée ou neutre) et l'échelle spatiale que l'on souhaite sonder. Les 4 principales sont :

  1. La rotation Faraday
  2. L’émission du rayonnement synchrotron diffus galactique
  3. La polarisation de la lumière par les grains de poussière (en transmission ou en émission)
  4. L’effet Zeeman dans les raies spectrales

Nous décrivons d’abord brièvement le principe de chaque méthode, puis les résultats obtenus sur le champ magnétique du MIS dans la Galaxie.

Rotation Faraday

Dans le milieu diffus ionisé, le module du champ magnétique le long de la ligne de visée est estimé par la mesure de l'angle de rotation du plan de polarisation d'une onde radio polarisée linéairement émise par une source d’arrière plan, pulsars ou sources extragalactiques. Cette rotation est induite dans un milieu magnétisé par la présence d'électrons libres qui rend le milieu diélectrique. L’angle de rotation est proportionnel à \lambda^2 et au produit de la densité électronique et de la composante longitudinale du champ, intégré le long de la ligne de visée vers la source. Par des mesures d’angle à plusieurs longueurs d’onde, on obtient ce produit (appelé « mesure de rotation » ou RM). D’autre part, l’intégrale de la densité électronique seule peut aussi être mesurée grâce à son effet dispersif sur le signal des pulsars : les ondes de différentes fréquences ne se propagent plus exactement à la même vitesse, ce qui produit un décalage du temps d’arrivée de l’impulsion en fonction de la fréquence. De ces 2 mesures on peut alors déduire la valeur du champ longitudinal moyen sur la ligne de visée.

Emission synchrotron des électrons relativistes

Les électrons relativistes qui composent environ 1% des rayons cosmiques émettent dans le champ magnétique galactique un rayonnement synchrotron dans le domaine radio centimétrique. Il est polarisé linéairement dans la direction perpendiculaire au champ. On peut donc connaître l'orientation du champ transverse (voir plus haut). Si on connaît (ou suppose) le flux d'électrons relativistes, on peut aussi déduire le module du champ magnétique transverse ou total, à partir de l’intensité polarisée ou totale du signal synchrotron. Notons que seule l’intensité totale est sensible à la composante aléatoire du champ. Le développement de modèles sophistiqués de la propagation des électrons cosmiques dans la Galaxie a donné une nouvelle assise à cette méthode.

Polarisation de la lumière par les grains de poussière

On observe une faible polarisation linéaire de la lumière des étoiles, corrélée avec leur extinction due aux poussières. Cette anisotropie est attribuée à la présence de grains chargés non sphériques. Sous l’effet de leur rotation, qui induit un moment magnétique, les grains allongés ont tendance à s’orienter avec leur grand axe perpendiculaire au champ magnétique, comme des pinces à linge sur un fil (voir ce schéma). Ils se comportent comme de petites antennes qui absorbent (et émettent) plus efficacement les ondes polarisées le long de leur grand axe, c’est à dire perpendiculairement au champ magnétique. En conséquence, ils transmettent mieux la composante de lumière stellaire polarisée dans la direction parallèle au champ. On peut ainsi construire des cartes de l'orientation du champ magnétique projeté dans le plan du ciel.

On peut également mesurer la direction de polarisation (perpendiculaire au champ magnétique) de l'émission thermique intrinsèque des poussières dans le continu millimétrique et submillimétrique. A cause des limites de sensibilité, cette méthode est surtout employée pour cartographier le champ dans les nuages moléculaires très denses. Mais le satellite Planck a pu tout récemment cartographier la polarisation de l’émission des poussières dans le MIS plus diffus à l’échelle de la Galaxie.

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Schéma illustrant la polarisation de la lumière stellaire transmise parallèle à la composante du champ dans le plan du ciel (à gauche) et la polarisation de l'émission des poussières perpendiculaire à ce même champ (à droite).
Crédit : Présentation de Alyssa Goodman à la conférence Protostar & Planets (1998) traduite en français.
Carte galactique de polarisation de la lumière stellaire par les poussières
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Cette carte de polarisation des étoiles par les poussières interstellaires suggère la présence d'une composante organisée du champ à grande échelle dans le plan Galactique, ainsi qu'une composante plus aléatoire.
Crédit : D.S. Mathewson & L.V. Ford, Mem. R. astr. Soc. 1970

Effet Zeeman

L'effet Zeeman offre la façon la plus directe de mesurer l'intensité du champ magnétique interstellaire. Il s'agit de la séparation sous l'effet d'un champ magnétique des niveaux d'énergie d'un atome ou d'une molécule (de moment magnétique non nul) en des sous-niveaux équidistants. Cela entraine la division d'une raie spectrale en différentes composantes, dont le déplacement par rapport à la fréquence centrale de la raie est proportionnel à l'intensité du champ magnétique, par un facteur qui dépend de la transition. Dans le cas de l'atome d'hydrogène et de molécules comme OH et CN ce déplacement est d’environ 1,4 Hz par microG. Sauf dans les masers où le champ est intense, on ne peut le mesurer qu’en comparant une paire de composantes (σ) polarisées circulairement en sens inverse l'une de l'autre. L'ajustement de la différence des profils permet d’en déduire la composante du champ le long de la ligne de visée. Notons cependant que le déplacement en fréquence étant sensible au signe de B, il sera considérablement diminué si le champ se renverse dans le lobe d'observation. Il est donc important d’utiliser des lobes d’antenne les plus petits possibles pour éviter cet effet de moyenne. Cette technique a permis de mesurer le champ magnétique du MIS neutre dans un vaste domaine de densités : avec HI en émission dans les nuages neutres diffus (1-100 cm-3), avec HI en absorption et OH vers les nuages moléculaires (100 à 104 cm-3), et avec CN dans les coeurs denses sites de formation stellaire (>105 cm-3).

Résultats des mesures de champ magnétique dans la Galaxie

Aux grandes échelles, la combinaison de la rotation de Faraday, de la polarisation optique et de l’émission radio synchrotron a été utilisée pour contraindre la structure du champ magnétique galactique. Elle montre la présence dans le disque d'un champ ordonné orienté sensiblement le long des bras spiraux (comme observé dans les galaxies spirales externes), de valeur environ 1,5 μG au voisinage solaire, et qui change de sens à 5,5 kpc du centre galactique. La polarisation optique des étoiles proches est par contre dominée par une composante désordonnée du champ d'intensité plus élevée d'environ 5 μG. Les modèles les plus récents indiquent aussi la présence d’un champ magnétique toroidal dans le halo, et d’une composante poloidale évasée hors du plan de la Galaxie. La géométrie 3D proposée est illustrée dans la Figure ci-contre.

Modèle du champ magnétique de la Galaxie
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Reconstruction synthétique de la structure 3D du champ magnétique Galactique obtenue par ajustement des mesures de rotation Faraday et d'émission synchrotron polarisée.
Crédit : Farrar G. R. et al. 2015, The 34th International Cosmic Ray Conference.

Aux échelles plus petites des nuages interstellaires et des condensations moléculaires, les méthodes de mesure employées sont l'effet Zeeman (pour le module du champ longitudinal) et la polarisation de l'émission des poussières (pour la direction du champ)

Une compilation récente des mesures Zeeman est présentée dans la Figure ci-contre. Une analyse Bayesienne prenant en compte les limites supérieures indique que le champ maximum dans le gaz neutre reste à peu près constant ~ 10 μG jusqu’à une densité de 300 cm-3. Cela suggère que les nuages HI diffus se condensent préférentiellement le long des tubes de champ magnétique, sans comprimer le champ. Au dessus de 300 cm-3, le champ augmente avec la densité du milieu selon une loi de la forme B \propto n^{2/3}. Cette pente de 2/3 diffère de la pente 1/2 des études précédentes, où la statistique était plus limitée. Elle suggère que la gravité domine la pression magnétique lors de la formation des coeurs denses dans les nuages moléculaires. Cela est cohérent avec les valeurs de B mesurées qui, après correction statistique des effets de projection, restent inférieures en moyenne d’un facteur 2 à la valeur critique nécessaire pour contrecarrer l' autogravité, B_{crit}/\mu G = N_H/2.6 \times 10^{20} {\rm cm}^{-2} . Cependant une large dispersion est observée d'un nuage à l'autre.

Mesures du champ B dans les nuages denses
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Intensité moyenne du champ magnétique le long de la ligne de visée déduite de mesures de l'effet Zeeman dans les nuages atomiques HI et moléculaires, en fonction de la densité du gaz. La courbe bleue montre la valeur maximum la plus probable, corrigée des effets de projection.
Crédit : Crutcher, R.M. 2012, Ann. Rev. Astron. Astrophys.

L’étude de la polarisation de l’émission des poussières a fait un grand bond en avant ces dernières années grâce aux progrès des télescopes et interféromètres submillimétriques, et au satellite Planck qui a cartographié la polarisation du continu submillimétrique dans l'ensemble du ciel avec une très grande précision. Les cartes dans les nuages moléculaires (par exemple le Taureau) révèlent une distribution de lignes de champ assez uniforme et cohérente qui suggère la présence d'une composante à grande échelle d’intensité suffisante pour resister à la turbulence. Les filaments denses de matière semblent préférentiellement parallèles ou perpendiculaires au champ, ce qui suggère que ce dernier joue un rôle dans leur formation ou leur confinement.

Champ magnétique dans le Taureau avec Planck
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Orientation du champ magnétique (en courbes grises) et densité colonne (en couleurs) dans le nuage moléculaire du Taureau. La direction du champ est déterminée par la polarisation de l'émission des poussières cartographiée par le satellite Planck.
Crédit : Planck Collaboration XXXV, 2015 Astronomy & Astrophysics, in press.

L’orientation globale du champ est souvent préservée jusque dans les coeurs denses (0.1 pc) où se forment les étoiles. Une composante aléatoire turbulente est également présente, mais généralement plus faible que la composante organisée. A petite échelle une géométrie en « sablier » est parfois observée suggérant que le champ est pincé et comprimé par la contraction gravitationnelle (voir ci-dessous).

Carte du champ magnétique dans un coeur dense
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Orientation du champ magnétique dans le plan du ciel (en rouge) déduite de la polarisation de l'émission des poussières (intensité totale en couleurs) dans la condensation NGC1333-IRAS4A qui abrite une protoétoile.
Crédit : Girart, Rao et Marrone 2006, Science

Réservoirs d'énergie : rayons cosmiques

Les rayons cosmiques ne sont pas réellement un rayonnement : ils sont constitués de particules chargées (environ 99% de noyaux atomiques et 1% d'électrons) qui circulent à très grande vitesse dans la Galaxie de façon à peu près isotrope. Les noyaux sont des protons (90%), des noyaux d'hélium (environ 9%) et des atomes plus lourds (1%). Des études détaillées sur la composition des rayons cosmiques montrent une forte surabondance des éléments légers (Li, Be, B) par rapport aux abondances standards solaires. Elles révèlent également une abondance relativement élevée de noyaux provenant d'atomes lourds habituellement inclus dans les grains de poussière (par exemple le fer, voir cette figure). Les grains étant chargés électriquement, ils peuvent être accélérés comme des ions très lourds. Suite à cette accélération ils subissent une érosion sous l'impact des atomes du gaz, et libèrent les éléments qui les composent.

Les rayons cosmiques présentent une gamme d’énergie très vaste qui s’étend sur au moins 14 décades, de qques 107 eV (= 10 Mev) à plus de 1020 eV (=1011 GeV). Le spectre en énergie au voisinage de la Terre est présenté dans la figure ci-dessous. Il peut se décomposer en trois parties. De quelques GeV jusqu'à 106 GeV, le spectre suit une première loi de puissance avec l'énergie de la forme E^gamma, avec l'indice γ proche de -2.7. Pour cet intervalle d'énergie, des mesures directes menées à l'aide de ballons ou satellites sont disponibles. C’est le domaine des rayons cosmiques dits « galactiques ». Les explosions de supernovae constituent une source d'énergie suffisante pour les expliquer. En effet, les particules chargées peuvent être accélérées de façon très efficace par le champ magnétique dans les ondes de choc générées par l'explosion. De 106 GeV à 109 GeV le spectre s’infléchit (« genou ») pour suivre une loi de puissance plus raide, avec un indice γ d'environ -3. Cette composante pourrait avoir en partie une origine extragalactique (par exemple noyaux actifs de galaxie). Au delà de 109 GeV on observe une nouvelle rupture de pente qu'on appelle la cheville et le nombre d'événements enregistrés est très faible. C'est le domaine des rayons cosmiques ultra-énergétiques, dont l'origine est encore mal contrainte.

Bien que les particules de haute énergie subissent des collisions avec les atomes, les molécules et les grains de poussière du milieu interstellaire, leurs trajectoires sont dominées par le champ magnétique. Les particules chargées effectuent un mouvement de giration (dans le plan perpendiculaire aux lignes de champ magnétique) dont le rayon dépend de leur énergie et de l'intensité du champ magnétique. Des protons d'énergie de l'ordre de 106 GeV dans un champ de 5 μG ont un rayon de giration d'environ 1016 m = 0.3 pc, soit beaucoup moins que l'échelle de hauteur de la Galaxie. Ces particules sont donc bien confinées par le champ magnétique. La présence d'irrégularités magnétiques peut néanmoins produire une diffusion transversale des particules en changeant l'orientation des orbites de giration. La diffusion à travers les lignes de champ magnétique est à l'origine de l'isotropie observée dans le flux des rayons cosmiques. Il s'établit une équipartition de l'énergie entre les rayons cosmiques et le milieu interstellaire. Les particules diffusent le long des structures magnétiques à grande échelle et traversent de nombreuses fois la Galaxie. La diffusion transversale peut les amener dans le halo ou leur permettre de s'échapper définitivement vers l'espace extragalactique.

Spectre en énergie des rayons cosmiques
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Flux de rayons cosmiques au sol en fonction de leur énergie par nucléon (knee=genou, ankle=cheville).
Crédit : NASA

Effet des rayons cosmiques sur le MIS

Ce sont les rayons cosmiques de basse énergie (de l'ordre du MeV) qui jouent un rôle important dans l'ionisation et le chauffage du milieu interstellaire moléculaire. Leur flux au bord des nuages est moins intense que celui des photons ultraviolets mais leur degré de pénétration est beaucoup plus élevé, ce qui fournit une source d'ionisation s'étendant jusqu'au plus profond de ces objets. Les rayons cosmiques influencent donc la chimie du milieu, en particulier en favorisant la formation de molécules grâce à des réactions ions-neutres (qui n'ont pas de barrière énergétique). L’ionisation par les rayons cosmiques produit aussi des électrons énergétiques qui chauffent le gaz via interaction colombienne. Ce processus est la source principale de chauffage dans les nuages moléculaires où le flux UV est faible et la densité < 104 cm-3 (au dessus, le chauffage par collisions avec les grains entre en jeu). La compétition avec le refroidissement radiatif par CO y maintient une température d’équilibre autour de 10 K.

Le flux de rayons cosmiques de basse énergie dans la Galaxie n'est pas mesurable directement. En dessous de 10 GeV, les particules détectées proviennent essentiellement du Soleil, car les rayons cosmiques de même énergie qui proviendraient de l'extérieur sont repoussés par le vent solaire (effet de modulation solaire). Leur flux incident dans l’espace interstellaire doit donc être estimé de manière indirecte. Une première méthode a consisté à modéliser la surabondance de noyaux légers (Li, Be, B) qui résulte de la fragmentation des noyaux de C,N ou O du milieu interstellaire par l’impact des protons rapides (réactions de spallation). Le seuil de cette réaction se situant vers 30-50 MeV, elle est très sensible aux protons de faible énergie. Une approche plus directe consiste à mesurer l'abondance de certains ions moléculaires, comme H3+ qui résulte de l'ionisation de H2 par les rayons cosmiques de basse énergie (les photons UV capables d'ioniser H2 sont absorbés par l’hydrogène atomique). Les résultats récents illustrés ci-dessous révèlent un taux moyen d'ionisation par les cosmiques dans le MIS diffus d'environ 3x10-16 s-1, qui chute d'un facteur 10 dans les nuages denses (NH > 5x1022 cm-2). Des variations importantes sont observées entre nuages diffus, qui pourraient refléter leur distance aux sites locaux d’accélération des RCs ou bien des effets de propagation.

Taux d'ionisation par les rayons cosmiques
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Taux d'ionisation par les rayons cosmiques (normalisé par noyau d'hydrogène) sur plusieurs lignes de visées, tracé en fonction de la densité colonne NH du nuage. Les valeurs sont principalement déduites de l'abondance de H3+ (losanges pleins et ouverts pour les détections, flèches grises pour les limites supérieures); et complétées par des mesures de HCO+ (croix) et HCNH+ (carré).
Crédit : Indriolo & McCall (2012, ApJ)