Le milieu interstellaire
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Détection du gaz neutre moléculaire

Auteur: Cecilia Pinto et Sylvie Cabrit
Carte du complexe moléculaire du Taureau dans la raie de CO à 2.6 mm
Taurus-CO-map.png
Exemple de structure filamentaire "fractale" du milieu moléculaire observée dans la raie rotationnelle de CO (J=1-0) : l'extension de l'image correspond à environ 25 pc.
Crédit : Goldsmith, P. et al., ApJ, 2008

Transitions moléculaires

Aujourd'hui on a identifié plus de 200 molécules différentes dans le milieu interstellaire. Les molécules sont fragiles et peuvent être dissociées par le rayonnement visible et ultraviolet. Elles sont donc principalement localisées dans des nuages moléculaires denses où elles sont protégés du flux de photons de haute énergie par la poussière et l'hydrogène moléculaire diffus situé aux bords des nuages. Leurs raies spectrales fournissent donc des informations précieuses sur les régions les plus denses du milieu interstellaire.

Tandis que les transitions dans les atomes proviennent uniquement des changements d’orbite des électrons, les molécules émettent selon trois type de transitions : électroniques, vibrationnelles et rotationnelles, qui tracent des gammes d'énergie décroissantes.

  • Les transitions électroniques des molécules sont l'équivalent des transitions atomiques. Pour H2, la molécule interstellaire la plus importante, ces transitions sont à des longueurs d'onde λ < 115 nm. Les autres molécules détectées par leurs transitions électroniques sont CO et OH dans l'ultraviolet lointain, CH, CH+ et CN dans l'ultraviolet proche et le bleu, et C2 et CN dans le proche infrarouge à 800-900 nm. Cependant, les niveaux électroniques des molécules sont situés à des énergies trop élevées pour être peuplés par collisions thermiques car cela nécessiterait des températures où le gaz ne serait plus moléculaire. Ils peuvent par contre être peuplés par l’absorption d’un photon ultraviolet, ou par l’impact d’un électron énergétique issu de l’ionisation du gaz par des rayons X ou des rayons cosmiques. La molécule ainsi excitée cascade vers les niveaux inférieurs en émettant des photons dans ses transitions électroniques : c’est le phénomène de fluorescence. Celui-ci n’a lieu qu’à proximité d’une source intense d’UV ou d’ionisation (par ex. étoiles jeunes, Noyau actif de galaxie...). Dans les conditions interstellaires typiques, les transitions électroniques des molécules sont seulement observables en absorption à partir du niveau électronique fondamental, en direction d'étoiles ou de sources extragalactiques. En particulier, les observations dans l'UV lointain menées avec les satellites COPERNICUS et FUSE ont fourni le rapport d'abondance H2/H sur de nombreuses lignes de visée du milieu moléculaire diffus (où l'extinction par les poussières n'est pas trop élevée), par l'observation de raies d'absorption électroniques de H2 et de H (raie Lyman α).

  • Selon leur géométrie, les molécules possèdent un certain nombre de modes de vibration possibles qui sont quantifiés et associés à des niveaux d'énergie approximativement équidistants, de séparation typique ~ 3000 K. Les transitions entre ces niveaux, dites vibrationnelles, sont caractérisées par des longueurs d'onde typiques de l'infrarouge proche. Ces transitions sont vues soit en absorption devant une source intense de continuum infrarouge, soit en émission si la température du milieu est suffisamment élevée, par exemple dans les chocs, ou les régions de photodissociation (PDRs) exposées à un fort flux UV. Les transitions vibrationnelles de H2, ainsi que celles de CO et H2O, sont observées à la fois du sol et de l'espace (par ex. par le satellite Spitzer). Chaque transition vibrationnelle est composée d’une série de raies distinctes de longueurs d’onde très proches, provenant des différents sous-niveaux de rotation (voir ci-dessous). Les meilleurs spectromètres infrarouges au sol sont capables de résoudre ces sous-composantes individuelles dites ''ro-vibrationnelles" pour en déduire la température du gaz via la loi de Boltzman.

  • Les transitions rotationnelles correspondent à la quantification des modes de rotation des molécules. Pour H2 ces raies sont dans l’infrarouge moyen (λ 28 μm) et issues de niveaux > 500 K, qui ne sont excités en émission que dans des zones localement chauffées (chocs ou PDRs). Les molécules plus lourdes, par contre, ont des niveaux rotationnels faiblement espacés (10-100 K) bien adaptés pour sonder les nuages moléculaires froids et denses. Leurs raies rotationnelles sont caractérisées par des longueurs d'onde submillimétriques, millimétriques ou centimétriques. Les avantages d'observer dans ce domaine radio sont (1) l'absence d'extinction par les poussières à ces longueurs d'onde, (2) la très haute résolution spectrale (<1 km/s) obtenue par les techniques de détection hétérodynes, qui permet de mesurer l’élargissement thermique et/ou turbulent de la raie et les gradients de vitesse entre différentes parties du nuage. La molécule la plus intense est CO : c’est la plus abondante après H2 et elle possède un premier niveau rotationnel à 5 K, facilement excité collisionnellement dans le gaz froid dès que la densité dépasse quelques 100 cm-3. La raie correspondante à 2.6 mm est utilisée pour cartographier à grande échelle les nuages moléculaires. L'application la plus importante de ces observations est l'estimation de la structure, de la masse et de la cinématique des nuages moléculaires. D’autres molécules souvent utilisées comme traceurs plus spécifiques de température et/ou de régions denses sont NH3, CS, N2H+. Enfin, l'étude des raies rotationnelles moléculaires en absorption en direction de sources radio extragalactiques (quasars) a permis de sonder en détail la chimie de la composante moléculaire diffuse, notamment les hydrides dans le submillimétrique avec le satellite Herschel et l'avion stratosphérique SOFIA.

Résultats des observations :

L'étude de la distribution de la raie J=1-0 de CO à 2.6 mm montre que la plupart du gaz moléculaire dans la Galaxie est localisé dans des nuages moléculaires géants de taille typique 40 pc, masse d'environ 4x105M_soleil, densité 200 cm-3 et température 10-30 K. L'abondance de CO y est d'environ 10-4 celle de H2. Ces nuages sont des objets auto-gravitants, plutôt qu'à l'équilibre de pression avec les autres phases du milieu interstellaire. Leur pression turbulente (mesurée par l'élargissement Doppler des raies CO) et magnétique (mesurée comme expliqué dans la Section "Energie magnétique") est globalement suffisante pour contrebalancer la gravité, ce qui les maintient globalement stables sur des échelles de l'ordre de 106-107 ans. Les observations des transitions rotationnelles de nombreuses molécules ont permis de mener une étude détaillée de leurs propriétés physiques et chimiques. En particulier cela a montré qu'ils sont fortement structurés à toutes les échelles, dans une structure hierarchique de type "fractale". Ils contiennent des condensations sombres de taille environ 1 pc, densité 103 cm-3 et masse d'environ 103 M_soleil, des filaments, ainsi que des coeurs denses de taille ~ 0.1 pc, densité > 104 cm-3, et masse ~ 0.1-10 M_soleilqui approchent de l'instabilité gravitationnelle (leur turbulence est subsonique) et sont le site de formation des étoiles. La structure spatiale filamentaire et la cinématique complexe de ces nuages sont illustrées ci-dessous dans le cas du nuage du Taureau.

Gaz moléculaire translucent : les observations en absorption dans l'UV menées avec les satellites COPERNICUS, Hubble et FUSE montrent que la proportion d'hydrogène sous forme de H2, moyennée sur la ligne de visée, augmente brutalement pour atteindre 10%-60% lorsque la densité de colonne totale dépasse ~ 3x1020 atomes cm-2 (Av ~ 0.2 mag). Ce gaz moléculaire diffus a une densité d'environ 100 cm-3 et une température d'environ 80  K, similaire à celle du HI froid. Une deuxième composante de H2 plus chaud à environ 200-300 K est également présente, ainsi que du CO en faible abondance (quelques 10-6). Pourtant, l'étude des raies radio rotationnelles en absorption a révélé une chimie étonnamment riche avec près de 30 espèces détectées. Leur survie dans le champ UV ambiant, et la formation fortement endothermique de certaines d'entre elles (ex. CH+), posent question. Le modèle actuellement favorisé est que ces molécules se reformeraient en permanence dans des vortex turbulents ou des chocs magnétisés qui chauffent le gaz par friction ion-neutre et y accélèrent la chimie.

Champ de vitesse du complexe moléculaire du Taureau
Taurus-13CO-kinem.png
La cinématique du nuage moléculaire du Taureau mesurée par la raie J=1-0 de l'isotope 13CO ; L'émission est sommée sur différents intervalles de vitesse codés en couleur : 3-5 km/s en bleu, 5-7 km/s en vert, et 7-9 km/s en rouge.
Crédit : Goldsmith P. et al. ApJ, 2008.
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