Nous ne pouvons étudier le milieu interstellaire que par le moyen de l'analyse de son rayonnement, sous forme d'émission continue et de raies spectrales. Les caractéristiques de cette émission dépendent des conditions physiques (densité, température, composition chimique) du gaz et des poussières, qui sont très variées. Certaines composantes du MIS sont bien visibles dans des régions particulières du spectre mais ne sont pas relevées dans d' autres. Il nous faut donc combiner des observations dans un vaste intervalle d'énergies pour avoir accès aux différentes phases du milieu, ainsi qu'aux différents diagnostics radiatifs des conditions qui y règnent.
L'image La Voie Lactée à diverses longueurs d'onde montre une image complète du plan de la Galaxie (± 10 degrés de part et d'autre) à des fréquences croissantes de haut en bas, s'étendant sur un intervalle de fréquence de 14 ordres de grandeur. Chaque planche correspond à un différent mécanisme d'émission, qui apporte donc des informations différentes: de haut en bas:
Dans ce qui suit, nous allons décrire plus en détail les principales méthodes d'observation de chaque phase du MIS, et leurs principaux résultats.
Le noyau de l'atome d'hydrogène est constitué d'un seul proton autour duquel ne tourne qu'un seul électron sur des orbites bien définies appelées niveaux d'énergie. L'énergie de l'électron sur une orbite donnée dépend du nombre quantique principal (il prend des valeurs entières) du niveau selon la relation: , où est la masse réduite du système électron-proton. Le niveau fondamental d'énergie minimale, , est situé à une énergie de -13.6 eV sous la limite d'ionisation . Lorsque augmente, l'énergie du niveau est de moins en moins négative : elle augmente. Le niveau est ainsi situé à -3.4 eV sous la limite d'ionisation , c'est-à-dire à +10.2 eV au dessus du fondamental. Afin de minimiser l'énergie du système, les électrons sur des orbites excitées vont se désexciter radiativement spontanément vers des niveaux de valeur de plus faible. Les cascades radiatives des niveaux supérieurs vers le niveau produisent un ensemble de raies spectrales dans l'ultraviolet dénommé Série de Lyman, celles vers le niveau créent des raies dans le visible correspondant à la Série de Balmer. Enfin, les cascades vers les niveaus , 4 et 5 donnent les Séries de Paschen, Bracket et Pfund dans l'infrarouge (voir Figure ci-dessous). Ces cascades se produisent lorsqu'un proton et un électron se recombinent pour reformer un atome neutre, car la recombinaison se fait en général sur un état excité. Ces raies dites "de recombinaison" sont donc une signature de régions où l'hydrogène subit une certaine ionisation (par rayonnement ou par collisions).
Dans le cas non relativiste, un état de nombre quantique est constitué de sous-niveaux d'énergie identique. Chaque sous-niveau est caractérisé par un nombre quantique , qui correspond dans le cas classique à l'amplitude du moment orbital angulaire de l'électron, et par un nombre quantique qui équivaut à la projection du moment angulaire orbital sur l'axe de rotation. ne peut prendre que les valeurs entières entre 0 et , et celles entre et (on dit que le moment orbital est quantifié). L'électron possède aussi un moment cinétique intrinsèque qui n'a pas d'équivalent classique, le spin, lui aussi quantifié comme le moment angulaire orbital. L'interaction dite de structure fine entre le moment orbital de l'électron et son spin induit la levée de dégénérescence des niveaux qui prennent alors des énergies faiblement différentes. Cette décomposition disparaît quand . Le proton possède également un moment cinétique de spin qui se combine avec le spin de l'électron en produisant une sous-structure encore plus fine des niveaux, dite hyperfine. En équivalent classique, l'énergie de l'atome dépend de si le spin de l'électron et du proton sont parallèles (configuration ortho) ou antiparallèles (configuration para).
Dans le MIS froid, seul le niveau fondamental de l'hydrogène est peuplé, où . Il n'y a donc pas de raie de structure fine, seulement une raie de structure hyperfine : la raie à 21 cm dont nous parlons plus en détail ci-dessous.
La raie à 21 cm de longueur d'onde (1.4 GHz de fréquence radio) correspond à la très faible différence d'énergie (5.9x10-5 eV = 0.07 K) entre les deux sous-niveaux hyperfins du niveau fondamental de l'hydrogène atomique, où se trouve la plupart de l'hydrogène dans le MIS atomique froid. La transition se produit lorsque l'électron renverse son spin : le sous-niveau supérieur correspond à la configuration où le spin de l'électron est parallèle à celui du noyau (spin total S =1), et le sous-niveau inférieur à celle où le spin est antiparallèle (S=0). Le taux de désexcitation radiative spontanée (voir la page Coefficients d'Einstein) est très faible : la durée de vie du sous-niveau supérieur est de 107 ans. Aussi, dès que la densité excède 1 cm-3, les collisions maintiennent la population du niveau supérieur à son niveau d'équilibre thermodynamique local . Chaque dépeuplement par émission spontanée produit un photon à 21 cm. L'intensité du signal radio observé est proportionnelle à la densité de colonne du gaz (nombre d'atomes par unité de surface le long de la ligne de visée). L'étude de l'émission de la raie à 21 cm et des variations spatiales de son intensité a donc permis la détermination de la masse et de la distribution du gaz atomique froid dans notre Galaxie et des galaxies extérieures. La raie à 21 cm peut être observée également en absorption lorsque un nuage d'hydrogène froid est situé sur la même ligne de visée qu'une source puissante de rayonnement radio continu (un pulsar ou une galaxie radio). Une combinaison de mesures en émission et absorption permet de déterminer à la fois la température et la densité de colonne du gaz atomique (voir les détails dans la page Application : la raie à 21 cm de l'hydrogène neutre).
Contrairement à l'atome d'hydrogène, la plupart des atomes et des ions importants dans le milieu interstellaire ont un moment orbital total L non nul dans leur configuration electronique fondamentale (la seule qui soit peuplée en pratique). Ce niveau est donc décomposé par l'interaction de structure fine entre le moment orbital total de tous les électrons de l'atome et leur spin total . Le moment angulaire total du système atomique est la somme vectorielle de ces deux moments cinétiques : et les transitions dipolaires électriques sont soumises aux règles de sélection : . Les transitions entre les sous-niveaux de structure fine sont dites "interdites" car elles transgressent ces règles de sélection. Elles ont en conséquence un coefficient d'Einstein faible, mais non nul car la transition dipolaire magnétique reste autorisée. Le niveau supérieur est souvent proche du fondamental, ce qui leur donne une grande importance pour la physique du milieu interstellaire : La raie de [CII]λ157.7μm, dont le niveau supérieur n'est qu'à 91,2 K, est très facilement excitée dans le milieu neutre froid et elle en est le principal facteur de refroidissement. En effet, dans cette phase diffuse, le carbone est essentiellement sous forme de C+ à cause du flux UV interstellaire. La raie de [OI]λ63μm, dont le niveau supérieur est à 228 K, participe également au refroidissement à température plus élevée. Ces raies appartiennent à l'infrarouge lointain et ont été observées par de nombreux satellites comme COBE, ISO, SWAS) et récemment Herschel, avec une résolution angulaire atteignant 10 secondes d'arc.
De nombreuses raies d'absorption interstellaires ont été observées dans les spectres des étoiles. Dans le visible et le proche ultraviolet on observe les raies d'atomes (Na, Ca, K), d'ions (Ca+) et de molécules (CN, CH+, OH...). Grâce à des satellites comme COPERNICUS, Hubble, et FUSE on a pu observer dans l'ultraviolet lointain un grand nombre de raies atomiques (notamment les raies de la série Lyman de l'hydrogène), ioniques et moléculaires (par exemple H2, qui sera discuté plus bas). L'ensemble de ces raies donne des informations très riches sur les conditions physiques et la composition chimique dans le milieu interstellaire atomique. En particulier il est possible de déduire la colonne de densité de l'élément observé (voir la page Raies en absorption) et ainsi son abondance en phase gazeuse relativement à l'hydrogène.
Aujourd'hui on a identifié plus de 200 molécules différentes dans le milieu interstellaire. Les molécules sont fragiles et peuvent être dissociées par le rayonnement visible et ultraviolet. Elles sont donc principalement localisées dans des nuages moléculaires denses où elles sont protégés du flux de photons de haute énergie par la poussière et l'hydrogène moléculaire diffus situé aux bords des nuages. Leurs raies spectrales fournissent donc des informations précieuses sur les régions les plus denses du milieu interstellaire.
Tandis que les transitions dans les atomes proviennent uniquement des changements d’orbite des électrons, les molécules émettent selon trois type de transitions : électroniques, vibrationnelles et rotationnelles, qui tracent des gammes d'énergie décroissantes.
Les transitions électroniques des molécules sont l'équivalent des transitions atomiques. Pour H2, la molécule interstellaire la plus importante, ces transitions sont à des longueurs d'onde λ < 115 nm. Les autres molécules détectées par leurs transitions électroniques sont CO et OH dans l'ultraviolet lointain, CH, CH+ et CN dans l'ultraviolet proche et le bleu, et C2 et CN dans le proche infrarouge à 800-900 nm. Cependant, les niveaux électroniques des molécules sont situés à des énergies trop élevées pour être peuplés par collisions thermiques car cela nécessiterait des températures où le gaz ne serait plus moléculaire. Ils peuvent par contre être peuplés par l’absorption d’un photon ultraviolet, ou par l’impact d’un électron énergétique issu de l’ionisation du gaz par des rayons X ou des rayons cosmiques. La molécule ainsi excitée cascade vers les niveaux inférieurs en émettant des photons dans ses transitions électroniques : c’est le phénomène de fluorescence. Celui-ci n’a lieu qu’à proximité d’une source intense d’UV ou d’ionisation (par ex. étoiles jeunes, Noyau actif de galaxie...). Dans les conditions interstellaires typiques, les transitions électroniques des molécules sont seulement observables en absorption à partir du niveau électronique fondamental, en direction d'étoiles ou de sources extragalactiques. En particulier, les observations dans l'UV lointain menées avec les satellites COPERNICUS et FUSE ont fourni le rapport d'abondance H2/H sur de nombreuses lignes de visée du milieu moléculaire diffus (où l'extinction par les poussières n'est pas trop élevée), par l'observation de raies d'absorption électroniques de H2 et de H (raie Lyman α).
Selon leur géométrie, les molécules possèdent un certain nombre de modes de vibration possibles qui sont quantifiés et associés à des niveaux d'énergie approximativement équidistants, de séparation typique ~ 3000 K. Les transitions entre ces niveaux, dites vibrationnelles, sont caractérisées par des longueurs d'onde typiques de l'infrarouge proche. Ces transitions sont vues soit en absorption devant une source intense de continuum infrarouge, soit en émission si la température du milieu est suffisamment élevée, par exemple dans les chocs, ou les régions de photodissociation (PDRs) exposées à un fort flux UV. Les transitions vibrationnelles de H2, ainsi que celles de CO et H2O, sont observées à la fois du sol et de l'espace (par ex. par le satellite Spitzer). Chaque transition vibrationnelle est composée d’une série de raies distinctes de longueurs d’onde très proches, provenant des différents sous-niveaux de rotation (voir ci-dessous). Les meilleurs spectromètres infrarouges au sol sont capables de résoudre ces sous-composantes individuelles dites ''ro-vibrationnelles" pour en déduire la température du gaz via la loi de Boltzman.
Les transitions rotationnelles correspondent à la quantification des modes de rotation des molécules. Pour H2 ces raies sont dans l’infrarouge moyen (λ ≤ 28 μm) et issues de niveaux > 500 K, qui ne sont excités en émission que dans des zones localement chauffées (chocs ou PDRs). Les molécules plus lourdes, par contre, ont des niveaux rotationnels faiblement espacés (10-100 K) bien adaptés pour sonder les nuages moléculaires froids et denses. Leurs raies rotationnelles sont caractérisées par des longueurs d'onde submillimétriques, millimétriques ou centimétriques. Les avantages d'observer dans ce domaine radio sont (1) l'absence d'extinction par les poussières à ces longueurs d'onde, (2) la très haute résolution spectrale (<1 km/s) obtenue par les techniques de détection hétérodynes, qui permet de mesurer l’élargissement thermique et/ou turbulent de la raie et les gradients de vitesse entre différentes parties du nuage. La molécule la plus intense est CO : c’est la plus abondante après H2 et elle possède un premier niveau rotationnel à 5 K, facilement excité collisionnellement dans le gaz froid dès que la densité dépasse quelques 100 cm-3. La raie correspondante à 2.6 mm est utilisée pour cartographier à grande échelle les nuages moléculaires. L'application la plus importante de ces observations est l'estimation de la structure, de la masse et de la cinématique des nuages moléculaires. D’autres molécules souvent utilisées comme traceurs plus spécifiques de température et/ou de régions denses sont NH3, CS, N2H+. Enfin, l'étude des raies rotationnelles moléculaires en absorption en direction de sources radio extragalactiques (quasars) a permis de sonder en détail la chimie de la composante moléculaire diffuse, notamment les hydrides dans le submillimétrique avec le satellite Herschel et l'avion stratosphérique SOFIA.
L'étude de la distribution de la raie J=1-0 de CO à 2.6 mm montre que la plupart du gaz moléculaire dans la Galaxie est localisé dans des nuages moléculaires géants de taille typique 40 pc, masse d'environ 4x105, densité ≥ 200 cm-3 et température 10-30 K. L'abondance de CO y est d'environ 10-4 celle de H2. Ces nuages sont des objets auto-gravitants, plutôt qu'à l'équilibre de pression avec les autres phases du milieu interstellaire. Leur pression turbulente (mesurée par l'élargissement Doppler des raies CO) et magnétique (mesurée comme expliqué dans la Section "Energie magnétique") est globalement suffisante pour contrebalancer la gravité, ce qui les maintient globalement stables sur des échelles de l'ordre de 106-107 ans. Les observations des transitions rotationnelles de nombreuses molécules ont permis de mener une étude détaillée de leurs propriétés physiques et chimiques. En particulier cela a montré qu'ils sont fortement structurés à toutes les échelles, dans une structure hierarchique de type "fractale". Ils contiennent des condensations sombres de taille environ 1 pc, densité 103 cm-3 et masse d'environ 103 , des filaments, ainsi que des coeurs denses de taille ~ 0.1 pc, densité > 104 cm-3, et masse ~ 0.1-10 qui approchent de l'instabilité gravitationnelle (leur turbulence est subsonique) et sont le site de formation des étoiles. La structure spatiale filamentaire et la cinématique complexe de ces nuages sont illustrées ci-dessous dans le cas du nuage du Taureau.
Gaz moléculaire translucent : les observations en absorption dans l'UV menées avec les satellites COPERNICUS, Hubble et FUSE montrent que la proportion d'hydrogène sous forme de H2, moyennée sur la ligne de visée, augmente brutalement pour atteindre 10%-60% lorsque la densité de colonne totale dépasse ~ 3x1020 atomes cm-2 (Av ~ 0.2 mag). Ce gaz moléculaire diffus a une densité d'environ 100 cm-3 et une température d'environ 80 K, similaire à celle du HI froid. Une deuxième composante de H2 plus chaud à environ 200-300 K est également présente, ainsi que du CO en faible abondance (quelques 10-6). Pourtant, l'étude des raies radio rotationnelles en absorption a révélé une chimie étonnamment riche avec près de 30 espèces détectées. Leur survie dans le champ UV ambiant, et la formation fortement endothermique de certaines d'entre elles (ex. CH+), posent question. Le modèle actuellement favorisé est que ces molécules se reformeraient en permanence dans des vortex turbulents ou des chocs magnétisés qui chauffent le gaz par friction ion-neutre et y accélèrent la chimie.
Le milieu ionisé dans la Galaxie comprend une composante tiède à environ 10 000 K (WIM) et une composante beaucoup plus chaude autour de 106 K (HIM). Nous résumons séparément pour chacune leurs principales méthodes d'observation et les caractéristiques qui en sont déduites.
Ce milieu est réparti en une composante organisée en structures bien définies, les régions HII ou nébuleuses gazeuses, et une composante plus diffuse. Les régions HII peuvent être décrites schématiquement comme des sphères ionisées (sphères de Strömgren) entourant une ou plusieurs étoiles chaudes de type O ou B qui sont responsables des photons UV ionisants > 13.6 eV (voir la page Réservoirs d'énergie : champ de rayonnement). Le gaz y possède de nombreux mécanismes d'émission de l'ultraviolet jusqu'au domaine radio. Les principales méthodes utilisées pour le cartographier et obtenir ses conditions physiques sont les suivantes :
Résultats des observations : l'étude de ces différents diagnostics a permis la détermination de la température et de la densité des électrons ainsi que des abondances de nombreuses espèces dans les régions photo-ionisées. Dans l'histogramme de la page Composition du MIS les abondances solaires sont comparées aux abondances de la nébuleuse gazeuse d'Orion, la région HII la plus proche de nous. On trouve que les régions HII ont des tailles typiques de 0.1-3 parsecs, une température d'environ T=104 K, une densité d'environ 1-104 cm-3 et qu'elles émettent la plupart de la luminosité totale du gaz ionisé tiède. Le milieu ionisé diffus est moins dense et chaud (n≈0.5 cm-3, T≈8000 K) mais contient la presque totalité de la masse du gaz ionisé (109 ). On pense que cette composante diffuse provient des fuites de gaz ionisé hors des régions HII par effet "champagne" (surpression) et de l'ionisation du milieu atomique diffus par des étoiles OB isolées. Au dessus du plan Galactique, la dissipation de la turbulence du plasma pourrait contribuer à son chauffage.
La composante de gaz ionisé très chaud dans le MIS, de température 105 K à 107 K, est principalement détectée par l'émission diffuse de rayons X mous (énergie inférieure à 1 keV) due à son rayonnement libre-libre, par les raies d'absorption dans l'ultraviolet d'atomes très ionisés (OVI, NV, CIV), et par des raies en émission de OVII, OVIII dans le domaine X. Ce gaz très ténu et chaud provient des restes de supernovae (voir le cours Astronomie et Mécanique Céleste). Comme il se refroidit lentement du fait de sa faible densité, il se répand dans le milieu interstellaire et remplit un large volume du disque et du halo galactique, où sa pression contribue à confiner les nuages HI à grande vitesse.